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QUAND ESSAI CLINIQUE RIME AVEC GROS HIC 1ère partie

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Affalée dans son vieux fauteuil élimé, les jambes repliées sur elle-même, Marine soupirait de contentement, elle n'avait pas connu un tel bien-être depuis longtemps. Tout en sirotant son thé, elle se remémorait les événements de la journée. Quelle chance elle avait eue de tomber sur cette petite annonce recherchant des étudiants en vue de participer à un essai clinique rémunéré. Il lui avait suffi de remplir un simple questionnaire sur ses antécédents médicaux puis à peine un quart d'heure plus tard, le professeur Hans Xyolitique, le chargé de l'étude, comme il s'était présenté, l'avait reçue en personne dans son cabinet. Tout en gesticulant, il lui avait alors révélé que c'était une chance inespérée qui s'offrait à elle, grâce à sa contribution, elle allait révolutionner l'univers de la recherche et contribuer à sauver nombre de malades souffrant d'Alzheimer. Il lui suffirait de prendre, le matin, durant sept jours, un comprimé puis de revenir ensuite effectuer une prise de sang et divers examens de routine. Un contrat avait été signé entre les deux parties, en bas, figurait une clause de confidentialité, quelque peu surprise, elle avait demandé au professeur des éclaircissements. Il lui avait alors avoué, presque en chuchotant, comme si les murs avaient des oreilles, que, la concurrence étant rude, cette dernière étape devait rester secrète, car les grands lobbyistes avaient des agents infiltrés partout, recrutés parmi des personnes lambda, comme les étudiants par exemple, d'où l'absolue nécessité de n'en rien dire, surtout pas à ses amies avait-il conclu en lui jetant un regard menaçant.

 

Ensuite, il avait tourné dans la pièce tout en invectivant le gouvernement, les laboratoires et les services secrets tout à la fois. Marine avait songé qu'il était le cliché parfait du professeur voué corps et âme à la science un rien givré, un original parano mais après tout, elle s'en fichait, ce qui l'intéressait, c'était l'argent. Et il était noté noir sur blanc qu'à l'issue des sept jours, elle se verrait octroyer la coquette somme de 10 000 euros, en liquide, de surcroît. De quoi payer ses deux mois de loyer de retard et faire la fête avec ses amis. Ses amis, en y pensant, elle regrettait de ne pouvoir leur faire partager sa joie. La semaine passerait vite, songea-t-elle et il serait temps de fêter cela dignement.

 

Néanmoins, elle ne pouvait se défaire d'un certain malaise, était-ce dû à ce comportement pour le moins bizarre du bonhomme et à son regard bleu glacial qui avait semblé la pénétrer lors de leur entrevue ou à cet endroit étrange, isolé et à la périphérie de la ville, qui semblait être un bâtiment métallique à l'architecture typiquement industrielle aménagé en toute hâte pour les besoins des recherches du prof. Sa parano le rendait méfiant et il avait dû préférer s'installer à l'écart de regards trop curieux, avait fini par conclure Marine plus pour se rassurer que par réelle conviction.

 

Cette nuit là, elle rêva qu'elle était poursuivie par un immense cachet rose qui roulait droit sur elle, elle courait mais celui-ci la rattrapait, elle le sentait juste derrière elle, tel un rouleau compresseur, broyant tout sur son passage, tournant la tête, elle comprit qu'il allait l'écraser.

 

C'est au moment précis où elle finissait aplatie comme une crêpe qu'elle se dressa dans son lit en hurlant. Son cœur battait la chamade et elle était en sueur, jetant un coup d'oeil à son portable, voyant qu'il était 5 h, elle décida qu'il était trop tard pour se rendormir. Après avoir pris une douche qui la ragaillardit un peu, elle avala son café noir et prit le fameux cachet rose avec son jus d'orange.

 

Les deux jours qui suivirent furent pareils aux autres pour Marine, rien ne vint perturber sa petite vie tranquille, elle n'avait eu aucun effet secondaire suite à la prise des comprimés. Au contraire, elle se sentait en pleine forme. Elle se rendit à ses cours, retrouva ses amis dans un café le soir pour bavarder et décompresser comme à l'ordinaire. Tout se déroula pour le mieux dans le meilleur des mondes, hélas, ce n'était que le calme avant la tempête.

 

En se levant ce jeudi matin, le troisième jour, si elle avait su ce qui l'attendait, elle serait restée au fond de sa couette. C'est dans le bus que la situation commença à déraper. Alors qu'elle s'assoyait à côté d'une grosse femme à la mine fermée et aux yeux cernés par des heures de travail, Marine lui fit un sourire que l'autre ne lui rendit pas. Regardant alors par la vitre le paysage défiler, elle l'entendit distinctement dire« pff, ces p'tites salopes avec leur air de bénis oui-oui, toutes les mêmes! »

 

Sidérée, Marine n'en croyait pas ses oreilles, elle se retourna vers sa voisine , se leva et l'invectiva :

Non mais, j'vous permets pas de m'insulter de la sorte, vielle sorcière !

 

Tous les passagers se tournèrent et la regardèrent alors avec stupéfaction tandis que la grosse dame ouvrait des yeux ronds comme des soucoupes, elle se recula au fond de son siège, terrorisée face à cette harpie qui se tenait droite devant elle

Mais mademoiselle, j'ai rien dit, j'ai pas ouvert la bouche, calmez-vous, qu'est-ce qui vous arrive ? bredouilla-t-elle tout en tournant la tête pour chercher l'approbation des personnes présentes.

 

Plusieurs passagers acquiescèrent. Marine, voyant la manière dont ils la dévisageaient tous, comprit qu'ils la prenaient pour une dingue et sentit le sang se retirer de son visage. Elle avait dû faire une micro-sieste sans s'en rendre compte, c'était l'explication la plus logique. Elle se confondit en excuses mais la vieille ne voulut rien savoir et se leva pour partir s'asseoir au fond du bus, non sans maugréer. Marine finit le trajet le nez dans un bouquin pour éviter le regard curieux des voyageurs.

 

Le deuxième incident se produisit durant le cours de lettres. Elle était, comme à son habitude, assise à côté de Jeanne, son amie, qui tapotait sur son portable frénétiquement, comme à son habitude. Elle entendit alors distinctement sans que Jeanne ouvre la bouche « toi, ce soir, mon coco, j'vais t'envoyer au septième ciel, j'mettrai mon string rouge, tiens, ça l'excite toujours »

 

Cette fois, le doute n'était plus permis, elle lisait dans les pensées, une vraie histoire de fou ! Elle fut prise d'un fou rire nerveux, trop assommée par cette révélation. Elle songea que le pire, c'est qu'elle ne pouvait en toucher mot à personne. Après tout, si le professeur Xyolitique avait raison et que des mercenaires à la solde des lobbyistes se trouvaient sur le campus ?

 

Paniquée, elle s'empara de son sac à dos et prit la fuite presque en courant , sous le regard médusé de Jeanne et de ses congénères.

 

Marine trouva refuge dans les toilettes du campus. Elle se tint la tête comme pour retenir le flot de pensées qui l’assaillaient. Tout d'abord, il lui fallait retrouver son calme. Assise sur la lunette des WC, elle resta immobile durant un moment puis visualisa une prairie verdoyante et tenta de respirer par l'abdomen comme on lui avait appris aux cours de yoga dont elle était une fervente adepte. Cela fut difficile mais, finalement, son rythme cardiaque s'apaisa. Elle était devenue télépathe ! C'était une évidence !Un vrai don, pouvoir lire dans les pensées, connaître les secrets les plus intimes de ses proches, qui n'en aurait pas rêvé ? Puis, après l’euphorie et l'enthousiasme, vint la terreur. Si cela se savait, on voudrait l'étudier comme un rat de laboratoire, plus jamais elle ne pourrait vivre en paix, qui sait si des militaires n'allaient pas l'enlever manu militari et la soumettre à des tests, lui brancher des électrodes sur le cerveau, la garder captive des années durant dans un lieu tenu secret par le gouvernement. Elle oscillait entre joie et terreur. Incapable d'assister au moindre cours, en proie à mille interrogations, Marine rentra retrouver son petit cocon.

 

Elle parcourut à pied les deux kilomètres qui la séparaient de son nid douillet, arrivée chez elle, elle mit la bouilloire en route et se prépara un thé puis s'installa afin de réfléchir à ce qu'elle allait entreprendre. Tout en marchant, elle avait décidé de n'en rien dire à personne, même pas à Jeanne, sa plus fidèle amie, la jeune femme avait bien trop peur qu'elle soit en danger par sa faute. Les yeux dans le vague, son regard tomba alors sur la boîte de comprimés. Elle était certaine que son nouveau pouvoir était dû à l’absorption de ces cachets, cette pensée l'avait taraudée toute la journée. Néanmoins, plus elle y réfléchissait, moins elle avait envie de parler de son changement au professeur, après tout, sa première impression était peut-être la bonne.

 

Pourquoi ce lieu, ce payement en espèces, c'était louche maintenant qu'elle y songeait. Était il réellement un chercheur ? Et s'il travaillait main dans la main avec la C.I.A. ou un puissant organisme privé ? Puis elle se souvint alors d'un détail qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille si elle n'avait pas été aussi obnubilée par l'appât du gain. Si il s'agissait réellement d'un médicament devant lutter contre la maladie d'Alzheimer, pourquoi recruter des étudiants plutôt que des personnes âgées, c'était complètement illogique ? Plus elle cogitait, plus elle était persuadée de s'être fait avoir dans les grandes largeurs.

 

Et si le but de ce médicament était justement de devenir télépathe ? Quelle révolution ce serait alors, les soldats pourraient lire dans les pensées des djihadistes, sans oublier tous les fichés S, qu'il serait facile de mettre hors d'état de nuire, ce serait la victoire assurée contre l’extrémisme, mais dans le même temps, le contraire était vrai aussi, c'était une arme redoutable contre l'intimité de tout un chacun pour peu qu'elle tombe entre de mauvaises mains, une arme de destruction massive qui bafouerait les droits les plus élémentaires de l'homme, sa liberté de penser en premier. Si des gouvernants mal intentionnés,des dictateurs, voire même des policiers, des chefs d'entreprise pouvaient lire dans les pensées de chaque personne pour peu qu'il ne soit pas de la bonne couleur de peau ou du bon parti, ce serait vite l'enfer ! Déjà que c'était loin d'être la joie, l'issue certaine serait la guerre et l'extinction de la race humaine, Marine ne voyait pas d'autre alternative à moyen ou même court terme. Les enjeux politiques, économiques, sociaux et éthiques et les implications étaient si terrifiantes que cela dépassait sa petite personne. Cette recherche était tout sauf humaniste, Marine le sentait au fond de ses tripes, comme bien souvent, elle serait réservée à une élite friquée bien entendu. Après tout, c'était bien le pognon et le pouvoir qui faisaient tourner le monde. Plus elle y pensait, plus elle se rendait compte que ce don était en fait une véritable malédiction qu'il lui fallait à tout prix cacher si elle tenait à sa peau.

 

Elle s'interrogea longuement aussi, y avait-il eu d'autres pigeons étant dans le même état qu'elle, comment le savoir ? Trop de questions sans réponse se mélangeaient, la laissant aux affres de l'angoisse .Elle aurait aimé retourner trois jours en arrière. Mais dans quel guêpier s'était-elle fourrée ? Comment allait-elle pouvoir vivre une existence normale maintenant ?

 

La jeune fille convint de ne rien changer à ses habitudes afin de ne pas éveiller les soupçons. Nul doute que sa sortie fracassante du cours avait déjà fait le tour de ses amis. Avant d'aller les rejoindre dans leur café préféré, elle se promit d'aller dès lendemain matin voir le professeur pour éclaircir la situation en lisant dans ses pensées sans rien lui révéler pour autant de son pouvoir. Elle prétexterait un effet secondaire et improviserait sur place, selon ce qu'elle découvrirait. Elle décida de prendre son comprimé, elle aurait le temps d'aviser après sa confrontation qu'elle espérait fructueuse.

 

Quant elle arriva, le bar était bondé et Marine dut jouer des coudes pour retrouver ses camarades, qui, l'ayant vue entrer, lui faisaient de grands signes tout en riant.

 

Jeanne était accompagnée de son nouvel amant, Paul, les autres étaient tous là, Luc, que Marine considérait un peu comme son frère, Guy, le boute-en-train et Viviane, jeune fille timide mais très attachante dès qu'on rompait sa carapace. Cela faisait trois ans qu'ils se connaissaient et on les nommait « les Mousquetaires ». Si Jeanne et Luc venaient d'un milieu aisé, Guy et Viviane, tout comme Marine, étaient boursiers. La joyeuse bande vivait en Franche-Comté et se retrouvait souvent durant les vacances pour partir en virée.

 

A peine s'était-elle assise que le phénomène recommença, cela fusa de toute la tablée. « putain, quelle galère, où il est ce con ? » « y commence à m'gonfler lui à me coller comme ça ! » « et si je demandais à Marine ? » « l'a pas l'air fameux son shit ».Les pensées de ses amis se télescopaient dans sa tête et formaient un brouhaha très pénible pour Marine qui restait assise, raide comme la justice, silencieuse, contrairement à son attitude exubérante. Ses compagnons, voyant son trouble , la questionnèrent sur son état mais elle prétexta une migraine pour se préparer à écourter la soirée. Pour son plus grand désarroi, en se rendant aux toilettes, elle constata que le phénomène empirait, cette fois, il lui suffisait de croiser une personne pour lire dans ses pensées. Elle en fit l'expérience en dépassant un couple enlacé qui se dirigeait vers la sortie. Tout en souriant amoureusement à son épouse, elle entendit alors son mari « Vite au dodo avec un bon somnifère pilé dans ton whisky ma vieille carne, j'en peux plus de tes délires sado-maso » Marine sourit en songeant que les apparences étaient trompeuses, qui aurait pu croire, en voyant cette femme austèrement vêtue d'une grande jupe informe grise et d'un corsage au col Claudine sagement boutonné jusque sous le cou,que c'était une adepte du bondage !

 

Très vite, la soirée se transforma en véritable cauchemar, Marine comprit alors les schizophrènes, elle-même n'allait pas tarder à devenir complètement dingue au train où la situation évoluait. Sa tête était devenue le siège d'un véritable concerto de voix qui se chevauchaient, s'entremêlaient pour former un tohu-bohu confus d'où sortaient parfois quelques bribes difficilement audibles. Aux alentours de minuit, son cerveau était capable d'entendre, sans rien comprendre l'ensemble de tous les consommateurs, un véritable orchestre de voix s'était installé dans sa caboche. C'en était trop, Marine se leva et après avoir dit bonsoir à ses amis, partit à pied en empruntant les vieilles ruelles du centre-ville afin de ne rencontrer personne. Heureusement, elle était malgré tout parvenue à donner le change à sa bande qui, toute la soirée, avait questionné et taquiné le nouvel amant de la gourmande Jeanne.

 

Quand elle se coucha, elle était effarée. Toute la nuit, elle se tourna et se retourna dans son lit sans trouver le sommeil, en proie à mille interrogations. Elle ne cessait de songer aux conséquences désastreuses si un tel cachet était commercialisé. Lui revint en mémoire une émission télévisée dans laquelle certains journalistes affirmaient que la CIA s'était servi de jeunes soldats pour expérimenter des cachets à base de LSD et d'amphétamines dans le but de décupler leur conscience, réduire leur fatigue et accroître leur résistance au combat et affirmaient même que ces tests continuaient dans le plus grand des secrets. Ces rumeurs avaient été démenties mais au vu de sa situation, elle songea que celles-ci n'étaient certainement pas de l'intox et puis elle savait bien que la presse était muselée au profit du fameux secret/défense !. De plus, elle se demandait si elle devait continuer de prendre ses foutus comprimés, le soit-disant prof avait bien insisté sur le fait qu'interrompre le traitement pourrait entraîner des effets secondaires très handicapants. Quand elle avait voulu en savoir plus, il avait planté ses yeux hallucinés dans les siens en lui disant que de toute façon, cela n'arriverait pas. Tétanisée, elle n'avait rien trouvé à lui rétorquer.

 

Le matin, elle avait repris un peu d'espoir, d'ici peu, elle allait enfin savoir ce que ce satané prof manigançait réellement.

 

A  suivre

 

 



28/07/2017
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