Mauxdescrisvains

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NOUVELLES


VENGEANCE AMÈRE

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L'impact des gouttes sur le métal la fit sortir de sa torpeur. Les mains toujours crispées sur le volant, Adèle quitta le parking sur lequel elle s'était arrêtée afin de se reposer avant de reprendre la route. Les larmes avaient fait couler son mascara, formant de larges sillons sillons noirs sur ses joues creuses. Jetant un bref regard sur sa montre, elle s'aperçut qu'il était déjà presque treize heures. Maintenant que sa décision était prise, elle se sentait à la fois fébrile et galvanisée, enfin, elle touchait au but.

 

Tout en regardant la route défiler, elle se souvenait de cette dernière journée de printemps, un an et demi déjà, où elle avait vu pour la dernière fois sa fille quitter la maison, sac à dos sur l'épaule, comme à l'accoutumée, pour se rendre à ses cours à la fac, c'est tout du moins ce qu'elle croyait à ce moment là. Marie avait toujours eu des rapports privilégiés avec ses parents, préférant sa chambre d'enfant au campus universitaire, Adèle la revoyait encore, à compulser de gros ouvrages sur son bureau, elle n'était pas passée par la case ado rebelle comme la plupart de ses amis, c'était une fille sage, trop sage peut-être ?. C'était un mardi que la vie d'Adèle avait basculé à tout jamais. Cette date était inscrite au fer rouge au plus profond de son âme meurtrie.

 

Elle avait tout perdu, son époux d'abord, qui n'en pouvait plus de ces absences répétées, son déni de la réalité, ses amies ensuite. Au début, elles avaient tenté de la raisonner, sa fille ne reviendrait plus, elle devait se faire une raison. Mais, face à l'obstination de leur copine à se voiler la face et à son obsession, elles l'avaient abandonnée, de guerre lasse. Adèle était restée dans le pavillon qu'ils avaient acheté, au cas où...

 

Elle prit une année de congé sabbatique pour mettre à bien son projet et mûrir son plan. Elle avait pris la bonne décision. Ses efforts allaient enfin être récompensés.

 

Une heure plus plus tard, elle gara sa voiture aux abords d'une immense maison de maître. Elle ouvrit le vide-poche afin d'étudier une dernière fois le plan détaillé de la demeure ainsi que les emplacements des caméras de surveillance. Elle se remémora l'emploi du temps que lui avait confié le détective privé, 14H00, bientôt le début des réjouissances. Il avait été formel, leurs habitudes étaient immuables.

 

La première partie de son plan s'était déroulé sans anicroche, elle était parvenue à se rendre invisible des caméras en zigzaguant à travers les allées. Une fois à l'intérieur, elle savait qu'elle avait à peine quatre minutes devant elle avant que les vigiles ne s'aperçoivent de son intrusion. Ouvrant la porte d'entrée à la volée, elle courut jusqu'à une petite pièce, elle savait qu'ils seraient tous là.

 

Elle ouvrit la porte sans bruit et entra. ils étaient debout, les yeux fermés et les deux mains ouvertes devant eux en signe d'offrande, psalmodiant des mantras. Face à cette assemblée disparate, du haut de ses un mètre quatre-vingt dix, le gourou se tenait devant ses fidèles, tel le messie. Adèle l'aperçut la première, avant qu'il ait le temps de tenter quoi que ce soit, elle sortit son neuf millimètres de son sac laissé ouvert, s'approcha de lui afin de voir la peur dans ses yeux et fit feu une seule fois, la balle vint se loger au milieu de son front, faisant exploser sa cervelle. Tous se mirent à hurler, et à se disperser, de peur d'y passer aussi. Au milieu du tumulte, une jeune fille fendit la foule et s'approcha en criant :

Mais qu'est ce que t'as fait, pourquoi ? Pourquoi ?

 

Adèle voulut prendre sa fille dans ses bras pour lui dire qu'elle était venue la libérer, de gré ou de force mais elle n'en eut pas le temps, Marie se jeta sur elle et lui prit l'arme des mains. Surprise, Adèle n'eut pas le temps de réagir. Les yeux noyés de larmes, Marie déchargea tout le chargeur sur sa mère qui s'effondra dans une flaque de sang. Avant de sombrer, un sourire flotta sur ses lèvres livides : elle avait tué la bête.


22/05/2018
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LE REVEIL DES DALPHINAÏDES

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Assis dans un fauteuil Voltaire rongé par le temps, je ne pouvais détacher les yeux du journal de bord de mon aïeul, récupéré dans un carton d'archives familiales. Je savais qu'il avait été l'unique survivant de la "Mary Céleste" rendue célèbre par son funeste destin, celle-ci ayant été retrouvée voguant au large des Açores, en décembre 1872, son équipage ayant complètement disparu sans laisser de traces et n'ayant jamais été retrouvé. Aucun journal de l'époque n'avait fait mention d'un survivant et pourtant, je tenais entre les mains la preuve qu'il y en avait eu un. Déjà, je m'imaginais perçant cette énigme, invitée sur les plateaux télés. Je me voyais en haut de l'affiche !.

 

27 novembre 1872

Je suis las, bientôt, je manquerai d'eau, je ne verrai certainement pas mes dix-sept printemps, pas plus que je ne retrouverai ma douce Amélie, mais, avant que mes forces ne me quittent, je dois me libérer d'un terrible fardeau, je suis sain d'esprit et ce que j'ai vécu dépasse de loin l'ententement. Mes mains tremblent encore à l'heure où j'écris ces mots mais je ne faiblirai pas.

 

Tout avait commencé lorsque ma mère m'avait présenté au capitaine Briggs lors du gala de charité qu'il présidait tous les ans à New-York. Il avait très bien connu mon père, capitaine de vaisseau ayant péri en mer lors d'une tempête alors que je n'avais que trois ans. Ma mère lui avait confié que mon plus grand rêve était de voyager, de voir le vaste monde avant de convoler en noces. Le capitaine, un homme très pieux et affable, promit à ma mère de m'emmener avec lui en octobre, sur la Mary-Céleste, j'y ferais office de moussaillon. Nous allions partir livrer plus de mille tonneaux d'alcool à Gênes ! J'étais ravi ! A moi l'aventure et les embruns !. Je comptais les jours qui me séparaient encore.du grand large. Enfin, nous partîmes un matin d'octobre. Nous étions tous prêts, le capitaine s'était entouré de sa femme et de sa petite fille, ainsi que de son second, qui avait épousé sa nièce, tout le reste de l'équipage avait été trié sur le volet. Les premiers jours se déroulèrent dans une joyeuse bonne humeur. Je briquais le pont, rendais de menus services, tous m'appréciaient et avaient de la considération pour moi. Malgré notre précieuse cargaison, qui aurait pu attirer bien des convoitises, nous étions confiants, aucun vaisseau pirate n'avait été vu ces derniers temps dans ces mers. Pour la première fois de ma courte vie, je me sentais libre, bien sûr, mon coeur se pinçait quand je pensais à ma douce Amélie mais je me savais dans ses pensées et cela suffisait à mon bonheur. Si j'avais su ce qui m'attendait ! Il n'y avait qu'un petit inconvénient, je partageais la cabine de quatre marins allemands. Si les premiers soirs, leurs chants sonores et gutturaux m'amusèrent, je déchantai très vite. Ils ne semblaient jamais fatigués, quant à moi, impossible de dormir. Les autres passagers n'étaient pas accomodés par le bruit car leurs cabines se trouvaient à l'extrémité, soit à la proue du navire. Le troisième jour, j'étais devenu l'ombre de moi-même, de profonds cernes entouraient mes yeux et j'avais l'impression de fouler du coton. Le capitaine Briggs voyant ma pâleur, toujours soucieux du bien-être de ses passagers, me fit appeler dans sa cabine et m'en demanda la raison. Je n'osai tout d'abord lui avouer, lui qui avait été si bon, mon infortune. Il me fit asseoir, bien déterminé à m'entendre, tout en scellant une missive, trempant délicatement son sceau dans la cire. Le voyant faire, Il me vint alors une idée, sans plus réfléchir, je lui contai mes déboires noctures et lui demandai s' il pouvait me donner un peu de cire ainsi que du coton. Le capitaine me laissa parler, puis, ouvant le tiroir de son bureau, en retira de la cire et m'enjoignit d'aller voir le médecin de bord afin qu'il me fournisse en coton, je partis après l'avoir chaudement remercié et me rendis sitôt dans sa cabine. C'était un homme fort courtois et discret et il ne me demanda pas la raison de ma requête et y accéda de suite . Le jour même, j'avais fabriqué mes boules "anti-bruits" car c'est bien de cela qu'il s'agissait ! J'étais débrouillard et je ne mis pas longtemps à malaxer la cire mélangée au coton. Le résultat était très satisfaisant. Restait à savoir s'ils se révèleraient efficaces. Quelle bonne idée j'avais eu car, le soir venu, à peine ma tête posée sur l'oreiller, je m'endormis ! Mon teint, de pâle, devenait hâlé, la vie reprenait son cours. Les jours se suivaient et se ressemblaient. Une sorte de routine s'était installée, chacun vaquant à ses occupations. Madame Briggs restait dans sa cabine la plupart du temps, il se racontait qu'elle était d'une jalousie maladive, raison pour laquelle elle suivait son époux où qu'il aille. Je prenais mes repas avec l'équipage et j'aimais les écouter raconter leurs souvenirs, leurs exploits, tout se déroulait pour le mieux jusqu'à ce matin fatidique qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.

 

Nous étions partis depuis plus de trois semaines et cela faisait déjà trois jours que le temps avait changé, l'orage grondait, le bateau tanguait mais tenait bon. Ce matin là je venais de me lever à la hâte, j'étais en retard et la plupart de l'équipage s'affairait sur le pont. Une légère brise s'était levée, le soleil ne s'était pas encore levé quand, soudain, une clarté aveuglante enveloppa le bateau tandis qu'une chaleur se diffusait dans l'air. Madame Briggs, qui n'était point encore arrivée sur le pont, se précipita suivie de sa fille. Bientôt, ce furent les passagers au grand complet qui accouraient en même temps, se bousculant les uns les autres comme si subitement, ils avaient perdu toutes leurs bonnes manière, semant la pagaille et s'invectivant. Tous avaient vu la lumière blanche et senti la chaleur et voulaient contempler ce curieux phénomène. Je m'approchai, le spectacle qui se déroulait devant mes yeux était tout simplement hallucinant. Une centaine de dauphins ailés, chevauchés par des créatures splendides, hommes et femmes d'une beauté parfaite et nus comme à leur premier jour, pourvus de curieuses branchies en guise d'oreille, se tenaient fièrement sur leurs montures. C'est alors que je m'aperçus que tous soufflaient dans une sorte de coquillage en esquissant un curieux ballet autour du navire. Bientôt, ce furent plus de cinq cents baleines ailées qui encerclaient le vaisseau, dansant une sarabande endiablée. Jamais je n'avais rencontré de telles créatures marines, cela ne pouvait être l'oeuvre de Dieu. Néanmoins, elles n'avaient point l'air agressives, au contraire, tout en soufflant dans leurs étranges coquillages, une aura de bienveillance semblait émaner de leur corps tout entier, leurs yeux clairs plongeaient dans les nôtres et je ne sais pourquoi mais subitement me vint l'envie de les rejoindre. Détournant vite les yeux, je pus voir que tous portaient des bijoux faits de nacre, de coraux et d'autres espèces que je ne reconnus pas. Ils étaient superbes, nantis de longues chevelures, ce qui ressemblait à des diamants brillaient dans les cheveux des femmes, j'entraperçus également des enfants se tenant fièrement sur de petits dauphins ailés eux aussi. J'étais en train de devenir fou, c'était la seule explication. Mais le plus surprenant c'était que je n'entendais rien, j'avais beau tendre l'oreille, un silence de plomb s'était abattu sur la Mary-Céleste, c'était tout du moins ce que je croyais encore en cet instant. J'étais figé, tout comme le reste de l'équipage. Je ne saurais dire combien de temps cette danse étrange dura, j'avais perdu tous mes repères. J'allais me tourner pour demander des explications au second quand ce que je vis alors me glaça les sangs Tous les passagers, les yeux vides, se dirigeaient d'un pas mécanique et de concert vers le bastingage, prêts à se jeter par-dessus-bord. On aurait dit qu'ils n'étaient plus eux-mêmes. Ils arboraient de grands sourires en tendant les bras et leurs regards étaient comme hallucinés. Sortant de ma torpeur, je hurlai de toutes mes forces mais bizarrement je n'entendais pas le son de ma voix. Subitement, je compris ce qui était en train de se passer, Ce n'était donc au final qu'un rêve, j'allais me réveiller, l'explication était simple, aussi quand je les vis tomber et se faire rattraper en plein vol par ces étranges créatures, je n'esquissai pas l'ombre d'un geste pour les en empêcher. Mais aurais je pu faire quelque chose ? Cette question m'a taraudé durant toute mon existence mais qu'aurais je pu tente face à cette multitude d'êtres étranges. Je décidai de tirer sur mon oreille afin de me réveiller. C'est à ce moment là que je sentis quelque chose obstruer mon conduit auditif. Tout à coup, je compris, avec effroi et trop tard, ce qu'il m'était réellement arrivé. J'avais tout simplement oublié, dans ma précipitation, de retirer mes boules "anti-bruits" ce matin. Alors que je les jetais sur le pont avec rage, je fus pris d'une terreur indicible quand je crus entendre une vague mélodie venant des flots, cela dura quelques secondes puis seul retentit un silence d'outre-tombe. Les créatures avaient disparu dans l'eau noire, emportant avec elles tous les passagers du Mary-Céleste. Dieu m'est témoin que je n'ai rien inventé. Le ciel reprit sa teinte normale, l'orage s'en était allé, la mer était calme et aucun dauphin ailé n'était là. Je me tournai alors, sachant ce que j'allais découvrir avant même de le voir. Rien, justement, le pont était désert et j'étais seul. Je me laissai tomber et restai un long moment la tête entre les mains. J'avais toujours été une personne profondément cartésienne et rationnelle mais il me fallait me rendre à l'évidence, mes compagnons d'infortune avaient été victimes d'un enchantement, comme le joueur de flûte qui débarrassa toute la ville des rats. Quelles que soient ces monstruosités, sous des dehors enchanteurs, elles ne pouvaient être que des sûppots de Satan qui s'étaient emparé de tout l'équipage. A quelles fins ? Maintenant, j'ai trop honte, j'ai laissé périr mes amis, que Dieu me pardonne, si je sors vivant, jamais je ne raconterai ce que j'ai vu, on m'enfermerait à coup sûr à l'asile !

 

Plus rien après cette date. Songeur, j'allais fermer le journal quand une feuille jaunie pliée en deux s'en échappa. Je la pris et l'ouvris délicatement. Il s'agissait apparemment d'un vieil article en date du 18 février 1902, un gros titre s'étalait en haut de la page "LA LEGENDE DES DALPHINAÏDES"

 

"Plusieurs personnes prétendent à ce jour avoir croisé en haute mer ces créatures mythologiques. Mi-humaines, mi-poisson. Le professeur Hans Xiolytique, qui a consacré sa vie à ce peuple mythique, cherchant aux quatre coins du globe des témoignages, a bien voulu répondre à nos questions. Les Dalphinaïdes, selon lui, existaient bien avant les premiers hommes, habitant dans les abysses, ils ressembleraient trait pour trait aux humains à un détail près, à la place de leurs oreilles, ceux-ci possèderaient des branchies. C'est un peuple joueur qui chevauche des dauphins ailés, pouvant parcourir des miles à la vitesse de l'éclair. Il est très rare de les voir, ceux-ci évitant de croiser la route des hommes, pourtant, toujours d'après le professeur, ceux-ci apparaîtraient environ tous les cent vingt ans. Ils auraient ,selon des marins qui les auraient vus, la faculté d'hypnotiser leurs proies à l'aide de sortes d'étranges coquillages. Dès lors et à leur merci, les humains sont emmenés dans les abysses où on les stocke dans des terrariums où ils font office de divertissement pour les enfants qui viennent les nourrir d'algues et autres. Quand nous avons demandé d'où le professeur tenait ces renseignements, il est resté muet, ne voulant en dire plus. Le plus curieux est que nombre de bateaux, dont le célèbre Mary-Céleste a été retrouvé vide de tout occupant; dès lors on peut s'interroger, est-ce un canular de plus ? Et si l'équipage du navire avait été capturé par ces êtres ? La rubrique de la semaine prochaine sera consacrée à la chasse au Dahu, avec des témoignages d'éminents spécialistes, dont le controversé professeur Tournesol.

 


01/05/2018
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QUAND ESSAI CLINIQUE RIME AVEC GROS HIC Fin

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Avant même d'arriver sur les lieux, son cerveau fut envahi par une véritable cacophonie, Marine sut alors que quelque chose clochait quand elle en distingua quelques bribes « complètement barge » « c'est quoi ces conneries » « quand j'dirai ça à ma femme ».

 

Aussi, ne fut-elle pas étonnée de voir l'endroit grouillé de policiers, facilement reconnaissables à leurs brassards rouges. Ceux-ci s'affairaient telles des fourmis, faisant des allers-retours, les bras chargés de cartons, entre l'entrepôt et un fourgon stationné à l'entrée. Un petit homme d'une cinquantaine d’années, à la chevelure fournie poivre et sel « certainement le commissaire », songea Marine, supervisait les opérations en leur aboyant des ordres afin qu'ils fassent plus vite. Dans sa tête, des mots sortaient de toutes parts, se chevauchant à ceux prononcés réellement par les hommes. Impossible de faire le tri, le tapage était bien trop important pour qu'elle puisse saisir quoi que ce soit de leurs pensées. Sans réfléchir, elle passa sous le cordon qui délimitait les lieux et s'avança jusqu'au responsable présumé :

Mais enfin, qu'est-ce qui se passe ici ? Et où est le professeur Xyolitique ? Et puis qui êtes vous ?

 

Levant les yeux de son carnet, le petit homme à l'imperméable élimé la jaugea de haut en bas :

Pas si vite, ici, c'est moi qui pose les questions, vous, qui êtes-vous tout d'abord et quels sont vos rapports avec cet énergumène ? « sûrement une de ses victimes, Marine Gobetout, la seule qu'on ait pas trouvée, à moins que ce ne soit une complice, méfie toi mon vieux, joue là fine»

 

Marine tombait des nues, ainsi, non seulement il savait qui elle était mais il la soupçonnait dans le même temps, sans réfléchir, elle se rua vers le bâtiment, d'où continuait de sortir bon nombre d'agents, les bras encombrés de dossiers et de bocaux. La stupeur ainsi que le dégoût se lisaient sur leurs visages et leurs esprits étaient en proie à mille pensées, ce qui n'était pas pour arranger les affaires de la jeune fille qui était dans l'incapacité de se servir de son tout nouveau don Se rendant compte que leurs visages étaient, de surcroît, livides, elle sentit soudain une brusque appréhension mais il était trop tard pour reculer. Quand elle entra, elle se figea sur place devant le spectacle qui s'offrait à ses yeux effarés.

 

Le hall, dans lequel elle avait attendu, s'était transformé en une véritable salle de torture, ni plus ni moins. Une chaise de dentiste, aux accoudoirs munis de larges bandes de cuir épais permettant de sangler les avant-bras, avait remplacé la chaise de bureau et l'ordinateur. A la place des affiches ventant les progrès de la science, de grands clichés, illustrant pour la plupart des cerveaux, pour d'autres des têtes humaines scalpées exhibant leur cervelle, ornaient le mur. Une table métallique sur roulette comportant scalpels, bistouris, une scie circulaire chirurgicale et tout un fatras d'outils inconnus de la jeune fille trônait à côté de l'affreux fauteuil. C'était une vision cauchemardesque, digne d'un film gore. Mais ce qui faillit faire défaillir Marine, ce furent de larges traînées rougeâtres qui finissaient en gouttelettes sur le mur, « du sang ! Mais qu'est-ce qui s'est passé ici ? ». «elle peut pas être complice, l'a l'air épouvanté, pauvre petite » Marine ne s'était pas rendue compte que le commissaire l'avait rejointe. Elle le regarda, dans l'expectative.

 

Voyant son air épouvanté, l'homme la serra maladroitement par l'épaule en lui enjoignant de se calmer et de tout lui raconter. Ce qu'elle fit sans se faire prier, aucun détail ne fut oublié, depuis la découverte de la petite annonce à son entrevue mais elle passa sous silence le changement qu'elle avait subi. Sa méfiance avait repris le dessus et plus que tout, elle n'avait pas envie de passer pour plus dingue qu'elle ne paraissait déjà. Néanmoins, elle était rassérénée, sous ses airs bourrus, elle avait lu l'empathie du bonhomme qui avait une fille de son âge, elle avait senti aussi son embarras, apparemment, il ne savait comment lui annoncer ce à qui ou à quoi elle avait échappé.

 

En entendant ses révélations, Bolomco hochait tantôt la tête d'un air entendu, tantôt écrivait quelques mots dans son vieux carnet qui ne le quittait jamais. Quand elle termina, il la regarda longuement :

Ma pauvre petite, je crains bien que vous ne vous soyez fait avoir par ce fou furieux de Xyolitique et vous l'avez échappé belle, croyez-moi, à mon avis, quand vous saurez tout, vous serez guérie des petites annonces à tout jamais. Vous allez devoir m'accompagner dans nos locaux afin de faire votre déposition et je vous expliquerai tout mais comme dit ma femme, on est toujours mieux disposé le ventre plein, alors, j'vais aller vous chercher un croissant auprès d'un agent mais suivez-moi, ne restez pas dans cet endroit maléfique, je pense que vous en avez assez vu pour vous faire une idée de ce qui vous attendait si nous n'étions pas intervenus.

 

Vingt minutes plus tard, installée dans un bureau des locaux de la Police Judiciaire, Marine répéta une fois de plus son histoire à un jeune officier tout frais arrivé qui tapait laborieusement ses propos sur son clavier à l'aide de deux doigts tout en pensant à une certaine Ariane qu'il allait rejoindre dès son service fini. « pourvu que Manon n'se doute de rien, l'a l'air bizarre ces derniers temps, j'demanderai à Kajok d'me couvrir si elle appelle, y'm'doit bien ça non mais »

 

Quand il l'interrompit pour la troisième fois en lui demandant de parler moins vite afin qu'il ait le temps de taper, Marine eut une furieuse envie de lui dire de se concentrer plutôt que de penser à sa future partie de jambes en l'air mais elle se contint et obtempéra dans un soupir résigné. Une heure plus tard, la déposition enfin tapée et signée, Marine suivit le jeune policier qui pensait toujours à sa nénette. Arrivés devant le bureau du commissaire, il frappa, ce dernier lui répondit de faire entrer la jeune fille et de disposer. C'est tout juste s'il ne partit pas en courant, laissant Marine entrer et prendre place face à Bolomco, qui, les mains jointes et l'air sérieux, lui dit alors qu'il allait tout lui expliquer dans les moindres détails.

 

Croisant les mains, comme pour donner plus de poids à ses mots, Bolomco lui raconta alors toute l'histoire.

 

Hans Xyolitique avait bien été chercheur au CNRS, et un des plus jeunes de surcroît, une sorte de croisement entre Einstein et Léonard de Vinci, son domaine de prédilection était la corrélation, dans le cerveau, entre inné et acquis. Il donnait des conférences dans tous les pays du globe, des cours à des scientifiques du même âge que lui, une véritable pointure, mais sa notoriété fut pareille à une étoile filante, fulgurante.

 

Au milieu des années 1970, en pleine période « New Age », comme bon nombre d'artistes et d'écrivains de la « beat generation », il fut persuadé que l'utilisation de drogues, principalement de LSD et de peyotls (cactées contenant de la mescaline et occasionnant des hallucinations visuelles) permettaient d'ouvrir des portes dans le cerveau refermées depuis la nuit des temps et, de ce fait, retrouver ce qui était inné en tout un chacun, passer les portes de la conscience pour parvenir à retrouver tous ses sens perdus. Il se mit alors à expérimenter sur sa personne ces produits afin de prouver sa théorie, à savoir que, bien avant l'Homme de Neandertal, existait l'Homo Sensitur, qui, dénué de langage verbal, communiquait avec les siens par télépathie. On en savait encore peu sur les dégâts considérables et souvent irrémédiables du LSD à court ou moyen terme sur le cerveau à cette époque. Aussi, très vite et au fil de ses prises qui s'intensifiaient, sans compter les amphétamines qu'il ingurgitait comme des bonbons afin de le tenir éveillé, son comportement changea, il devint complètement parano. De jovial, il se transforma en un être taciturne et tourmenté. Il fut convaincu, lors d'un trip sous LSD, avoir réussi à lire les pensées des personnes croisées dans la rue. Ce fut un véritable déclencheur ! Enfin sa théorie allait être étayée, ce sens, inné en tout être humain, avait été perdu lors de l'évolution de l'homme, pour lui, c'était une évidence. En trouvant le juste dosage des substances, il pouvait devenir télépathe, il en était certain. Dès lors, cela tourna à l'obsession, il s'adonna nuit et jour à ses recherches afin de prouver sa théorie et ressusciter l'Homo Sensitur. c'était devenu une véritable fixation dans son esprit rongé par l'excès de drogues, il ne pensait plus qu'à cela, les murs de son appartement étaient griffonnés d'équations et calculs divers, pas un pan n'avait été épargné. Il voulait mettre au point la pilule capable de rendre télépathe qui la goberait. Méconnaissable, des valises sous les yeux, il ne dormait plus, négligé, il se mit à parler tout seul, à s'interrompre en plein cours pour se mettre à fustiger untel qu'il prenait pour un espion travaillant pour l'U.R.S.S., soupçonnant ses collègues d'être à la solde de la CIA. Au sein du CNRS, les langues allaient bon train. Il était devenu la risée de tous.

 

Une enquête fut diligentée par les plus hautes instances. Les conclusions tombèrent rapidement, l’exclusion et la radiation de la communauté scientifique pour le professeur et ce, à vie. Durant deux ans, il fut enfermé en cellule capitonnée à l'hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris où il reçut des électrochocs et de puissants neuroleptiques, en octobre 1986, déclaré adaptable à la société, il fut lâché dans la nature dans laquelle il s'évanouit purement et simplement.

 

C'est en 1991 qu'il réapparut en fanfare au Canada. Hans Xyolitique était devenu l'éminent et respectable professeur Jekyde, un personnage hors du commun qui s'était fait une place de roi au sein de la Jet-set, il était de tous les galas de bienfaisance, membre de clubs très fermés, c'était la personne à avoir absolument dans son carnet d'adresses. Grâce à de faux papiers, il put enseigner au sein de l'université de parapsychologie de Montréal. Ses étudiants lui vouaient un véritable culte, lui rendant même visite dans son petit chalet retiré dans les bois à quelques kilomètres de la ville. Bien sûr, on ne le sut que plus tard, quand le mal avait été fait.

 

En juillet 1993, la ville de Montréal connut une vague de terreur sans précédent, en l'espace de six mois, huit jeunes gens disparurent sans aucune raison apparente et ce, du jour au lendemain.Une véritable psychose s'empara des habitants. Les familles interdirent à leur progéniture de sortir la nuit tombée et un couvre-feu fut instauré. Les étudiants ne s'aventurèrent plus qu'accompagnés. Les patrouilles furent triplées et on dépêcha des profileurs du F.B.I sur les lieux. Malgré toutes ces mesures, en décembre de cette même année, dix jeunes de plus vinrent allonger la sinistre liste des disparus. La police était sur les dents, rien, pas le moindre indice pour les faire avancer. Le seul point commun entre les victimes était leur jeune âge et la ville de Montréal.

 

C'est par le plus grand des hasards que l'affaire du « bourreau des crânes » surnommée par les médias plus tard, connut son point final un beau matin d'août.

 

Tandis que Monsieur Luc Renson, un potier renommé de Montréal, se promenait en compagnie de son chien Eliot dans la forêt, à la périphérie de la ville, à l’affût de champignons, quelle ne fut pas sa surprise de le voir venir à lui, un tibia humain entre les dents. Monsieur Renson, interloqué, ne s'était pas même aperçu de la fuite de son chien, trop occupé par sa cueillette. Avec célérité et ne cédant pas à la panique, il appela le poste de police, par chance, il ne se déplaçait jamais sans son portable. Plusieurs unités cynophiles furent déployées et très vite, les hommes découvrirent avec stupéfaction la provenance des ossements. Tous émanaient du jardin du charmant docteur Jekyde. On dénombra plus de trente-cinq corps, certains à l'état de squelette et d'autres en décomposition plus ou moins avancée mais le plus sordide était l'état dans lequel furent retrouvées les boîtes crâniennes, toute la partie supérieure avait disparu, Xyolitique avait littéralement scalpé les crânes. Devant tous ces corps suppliciés, les policiers les plus chevronnés en furent littéralement malades. Le toubib, tellement sûr de son impunité, avait creusé très peu profond. On ne sut jamais comment Eliot avait trouvé ce tibia mais il fit la une des journaux et devint la coqueluche de la ville. Une statue à son effigie fut même érigée sur la grande place et Monsieur Renson vendit plus de 100 000 Eliot en terre cuite jusqu'en Chine. Sa renommée s'en trouva accrue, on s'arrachait ses poteries à prix d'or.

 

La ville, quand elle apprit la nouvelle, fut sous le choc. Qui aurait pu croire que cet excellent chercheur bien sous tous rapports avait un double visage, un homme affable et débonnaire capable de se transformer en bourreau sanguinaire ? Son visage s'étala sur tous les journaux du monde et c'est ainsi que son identité vola en éclats. La police française se mit en rapport avec ses homologues canadiens. Dès lors, se sachant démasqué, le bourreau des crânes se mit à parler. Sa confession dura toute la nuit et glaça le sang des inspecteurs. Il parlait d'un ton monocorde, sans empathie ni remords pour ses victimes qu'il considérait comme de vulgaires rats de laboratoire.

 

Jamais il n'avait abandonné ses recherches. Grâce à son charisme, il invitait des étudiants ou de jeunes gens oisifs rencontrés au hasard de ses promenades dans la ville, à venir lui rendre visite, sa renommée était telle qu'il n'avait pas à insister. Ceux-ci, trop contents d'avoir été choisis par un personnage aussi illustre, se sentaient flattés, d'autant plus que ce bon docteur les incitait à venir accompagnés. Bien sûr, ils ne devaient en parler à personne sous peine d'être bannis du cercle des élus. Et cela fonctionna, une fois le poisson ferré, Xyolitique offrait aux jeunes gens du thé glacé agrémenté d'un mélange de LSD et de méthamphétamines, lui-même en buvait, une fois la drogue absorbée, il tentait alors diverses expériences avec ses cobayes involontaires. On retrouva dans son chalet un véritable laboratoire, calé aussi en physique chimie, il fabriquait ses drogues, toujours à la poursuite du juste dosage capable de ressusciter l'Homo Sensitur. Tout comme Jeanne d'Arc, il était persuadé avoir une mission à accomplir. A l'entendre parler ainsi, cela paraissait incroyable qu'il ait pu sévir sans faire aucun faux pas car il était clair qu'il était complètement barré. Les électrochocs reçus avaient fini par lui griller les neurones, pourtant il avait floué et manipulé tous ceux qui le prenaient juste pour un savant original. Quand les policiers lui demandèrent pourquoi il n'avait pas tout simplement laissé repartir les jeunes, il répondit qu'il ne voulait pas que ceux-ci parlent de leur expérience, de plus, il avait besoin de leurs cerveaux pour les étudier. Effectivement, dans son chalet, on en retrouva quantité dans des bocaux, flottant dans le formol . On comprit dès lors pourquoi les crânes déterrés étaient démunis de leurs boîtes crâniennes.

 

Il fut condamné à la prison à perpétuité mais réussit à s'évader en

2016 en se cachant dans les bennes de linge sale qui faisaient les allers-retours de la prison à une grande blanchisserie industrielle une fois par semaine.

 

On retrouva sa trace, grâce à une alerte émise par Interpol, en 2017 à Besançon. Son ego était tellement démesuré qu'il s'était servi de son véritable nom pour passer une petite annonce afin de recruter des jeunes sous un faux prétexte. Seulement, le temps que le commissaire Bolomco et son équipe localisent son portable et mettent sur pied une opération pour l'arrêter, Xyolitique avait bien failli faire une victime de plus.

 

En effet, en pénétrant dans le bâtiment, les policiers virent un jeune homme inconscient garrotté à l'horrible chaise. Xyolitique, penché au-dessus de lui, scie chirurgicale en main, avait commencé à le scalper. Heureusement, les flics bondirent sur le doc maboul et le ceinturèrent. Thierry, c'était son nom, s'en sortit avec quinze points de suture et la peur de sa vie.

 

Marine fut horrifiée par cette histoire et le soir même, jeta les comprimés qui lui restaient. Elle se mit en rapport avec les autres victimes, leur demandant s'ils avaient eu des problèmes avec les cachets mais tous furent affirmatifs, absolument rien ne s'était passé. Elle sut qu'ils disaient vrai car elle l'avait lu dans leurs pensées.

 

Après cette rencontre, elle rentra chez elle et jeta les cachets qui lui restaient. Marine avait mûrement réfléchi et décidé que c'était la meilleure décision à prendre, de plus que se serait-il passé une fois la plaquette terminée ? C'était définitivement un trop gros poids à porter pour ses frêles épaules.

 

Quant au professeur Hans Xyolitique, aux dernières nouvelles, il hurle dans une cellule capitonnée qu'il a enfin trouvé le moyen de ressusciter l'Homo Sensitur.

 

FIN 


28/07/2017
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QUAND ESSAI CLINIQUE RIME AVEC GROS HIC 1ère partie

ATELIER ESSAI CLINIQUE.jpg

 

Affalée dans son vieux fauteuil élimé, les jambes repliées sur elle-même, Marine soupirait de contentement, elle n'avait pas connu un tel bien-être depuis longtemps. Tout en sirotant son thé, elle se remémorait les événements de la journée. Quelle chance elle avait eue de tomber sur cette petite annonce recherchant des étudiants en vue de participer à un essai clinique rémunéré. Il lui avait suffi de remplir un simple questionnaire sur ses antécédents médicaux puis à peine un quart d'heure plus tard, le professeur Hans Xyolitique, le chargé de l'étude, comme il s'était présenté, l'avait reçue en personne dans son cabinet. Tout en gesticulant, il lui avait alors révélé que c'était une chance inespérée qui s'offrait à elle, grâce à sa contribution, elle allait révolutionner l'univers de la recherche et contribuer à sauver nombre de malades souffrant d'Alzheimer. Il lui suffirait de prendre, le matin, durant sept jours, un comprimé puis de revenir ensuite effectuer une prise de sang et divers examens de routine. Un contrat avait été signé entre les deux parties, en bas, figurait une clause de confidentialité, quelque peu surprise, elle avait demandé au professeur des éclaircissements. Il lui avait alors avoué, presque en chuchotant, comme si les murs avaient des oreilles, que, la concurrence étant rude, cette dernière étape devait rester secrète, car les grands lobbyistes avaient des agents infiltrés partout, recrutés parmi des personnes lambda, comme les étudiants par exemple, d'où l'absolue nécessité de n'en rien dire, surtout pas à ses amies avait-il conclu en lui jetant un regard menaçant.

 

Ensuite, il avait tourné dans la pièce tout en invectivant le gouvernement, les laboratoires et les services secrets tout à la fois. Marine avait songé qu'il était le cliché parfait du professeur voué corps et âme à la science un rien givré, un original parano mais après tout, elle s'en fichait, ce qui l'intéressait, c'était l'argent. Et il était noté noir sur blanc qu'à l'issue des sept jours, elle se verrait octroyer la coquette somme de 10 000 euros, en liquide, de surcroît. De quoi payer ses deux mois de loyer de retard et faire la fête avec ses amis. Ses amis, en y pensant, elle regrettait de ne pouvoir leur faire partager sa joie. La semaine passerait vite, songea-t-elle et il serait temps de fêter cela dignement.

 

Néanmoins, elle ne pouvait se défaire d'un certain malaise, était-ce dû à ce comportement pour le moins bizarre du bonhomme et à son regard bleu glacial qui avait semblé la pénétrer lors de leur entrevue ou à cet endroit étrange, isolé et à la périphérie de la ville, qui semblait être un bâtiment métallique à l'architecture typiquement industrielle aménagé en toute hâte pour les besoins des recherches du prof. Sa parano le rendait méfiant et il avait dû préférer s'installer à l'écart de regards trop curieux, avait fini par conclure Marine plus pour se rassurer que par réelle conviction.

 

Cette nuit là, elle rêva qu'elle était poursuivie par un immense cachet rose qui roulait droit sur elle, elle courait mais celui-ci la rattrapait, elle le sentait juste derrière elle, tel un rouleau compresseur, broyant tout sur son passage, tournant la tête, elle comprit qu'il allait l'écraser.

 

C'est au moment précis où elle finissait aplatie comme une crêpe qu'elle se dressa dans son lit en hurlant. Son cœur battait la chamade et elle était en sueur, jetant un coup d'oeil à son portable, voyant qu'il était 5 h, elle décida qu'il était trop tard pour se rendormir. Après avoir pris une douche qui la ragaillardit un peu, elle avala son café noir et prit le fameux cachet rose avec son jus d'orange.

 

Les deux jours qui suivirent furent pareils aux autres pour Marine, rien ne vint perturber sa petite vie tranquille, elle n'avait eu aucun effet secondaire suite à la prise des comprimés. Au contraire, elle se sentait en pleine forme. Elle se rendit à ses cours, retrouva ses amis dans un café le soir pour bavarder et décompresser comme à l'ordinaire. Tout se déroula pour le mieux dans le meilleur des mondes, hélas, ce n'était que le calme avant la tempête.

 

En se levant ce jeudi matin, le troisième jour, si elle avait su ce qui l'attendait, elle serait restée au fond de sa couette. C'est dans le bus que la situation commença à déraper. Alors qu'elle s'assoyait à côté d'une grosse femme à la mine fermée et aux yeux cernés par des heures de travail, Marine lui fit un sourire que l'autre ne lui rendit pas. Regardant alors par la vitre le paysage défiler, elle l'entendit distinctement dire« pff, ces p'tites salopes avec leur air de bénis oui-oui, toutes les mêmes! »

 

Sidérée, Marine n'en croyait pas ses oreilles, elle se retourna vers sa voisine , se leva et l'invectiva :

Non mais, j'vous permets pas de m'insulter de la sorte, vielle sorcière !

 

Tous les passagers se tournèrent et la regardèrent alors avec stupéfaction tandis que la grosse dame ouvrait des yeux ronds comme des soucoupes, elle se recula au fond de son siège, terrorisée face à cette harpie qui se tenait droite devant elle

Mais mademoiselle, j'ai rien dit, j'ai pas ouvert la bouche, calmez-vous, qu'est-ce qui vous arrive ? bredouilla-t-elle tout en tournant la tête pour chercher l'approbation des personnes présentes.

 

Plusieurs passagers acquiescèrent. Marine, voyant la manière dont ils la dévisageaient tous, comprit qu'ils la prenaient pour une dingue et sentit le sang se retirer de son visage. Elle avait dû faire une micro-sieste sans s'en rendre compte, c'était l'explication la plus logique. Elle se confondit en excuses mais la vieille ne voulut rien savoir et se leva pour partir s'asseoir au fond du bus, non sans maugréer. Marine finit le trajet le nez dans un bouquin pour éviter le regard curieux des voyageurs.

 

Le deuxième incident se produisit durant le cours de lettres. Elle était, comme à son habitude, assise à côté de Jeanne, son amie, qui tapotait sur son portable frénétiquement, comme à son habitude. Elle entendit alors distinctement sans que Jeanne ouvre la bouche « toi, ce soir, mon coco, j'vais t'envoyer au septième ciel, j'mettrai mon string rouge, tiens, ça l'excite toujours »

 

Cette fois, le doute n'était plus permis, elle lisait dans les pensées, une vraie histoire de fou ! Elle fut prise d'un fou rire nerveux, trop assommée par cette révélation. Elle songea que le pire, c'est qu'elle ne pouvait en toucher mot à personne. Après tout, si le professeur Xyolitique avait raison et que des mercenaires à la solde des lobbyistes se trouvaient sur le campus ?

 

Paniquée, elle s'empara de son sac à dos et prit la fuite presque en courant , sous le regard médusé de Jeanne et de ses congénères.

 

Marine trouva refuge dans les toilettes du campus. Elle se tint la tête comme pour retenir le flot de pensées qui l’assaillaient. Tout d'abord, il lui fallait retrouver son calme. Assise sur la lunette des WC, elle resta immobile durant un moment puis visualisa une prairie verdoyante et tenta de respirer par l'abdomen comme on lui avait appris aux cours de yoga dont elle était une fervente adepte. Cela fut difficile mais, finalement, son rythme cardiaque s'apaisa. Elle était devenue télépathe ! C'était une évidence !Un vrai don, pouvoir lire dans les pensées, connaître les secrets les plus intimes de ses proches, qui n'en aurait pas rêvé ? Puis, après l’euphorie et l'enthousiasme, vint la terreur. Si cela se savait, on voudrait l'étudier comme un rat de laboratoire, plus jamais elle ne pourrait vivre en paix, qui sait si des militaires n'allaient pas l'enlever manu militari et la soumettre à des tests, lui brancher des électrodes sur le cerveau, la garder captive des années durant dans un lieu tenu secret par le gouvernement. Elle oscillait entre joie et terreur. Incapable d'assister au moindre cours, en proie à mille interrogations, Marine rentra retrouver son petit cocon.

 

Elle parcourut à pied les deux kilomètres qui la séparaient de son nid douillet, arrivée chez elle, elle mit la bouilloire en route et se prépara un thé puis s'installa afin de réfléchir à ce qu'elle allait entreprendre. Tout en marchant, elle avait décidé de n'en rien dire à personne, même pas à Jeanne, sa plus fidèle amie, la jeune femme avait bien trop peur qu'elle soit en danger par sa faute. Les yeux dans le vague, son regard tomba alors sur la boîte de comprimés. Elle était certaine que son nouveau pouvoir était dû à l’absorption de ces cachets, cette pensée l'avait taraudée toute la journée. Néanmoins, plus elle y réfléchissait, moins elle avait envie de parler de son changement au professeur, après tout, sa première impression était peut-être la bonne.

 

Pourquoi ce lieu, ce payement en espèces, c'était louche maintenant qu'elle y songeait. Était il réellement un chercheur ? Et s'il travaillait main dans la main avec la C.I.A. ou un puissant organisme privé ? Puis elle se souvint alors d'un détail qui aurait dû lui mettre la puce à l'oreille si elle n'avait pas été aussi obnubilée par l'appât du gain. Si il s'agissait réellement d'un médicament devant lutter contre la maladie d'Alzheimer, pourquoi recruter des étudiants plutôt que des personnes âgées, c'était complètement illogique ? Plus elle cogitait, plus elle était persuadée de s'être fait avoir dans les grandes largeurs.

 

Et si le but de ce médicament était justement de devenir télépathe ? Quelle révolution ce serait alors, les soldats pourraient lire dans les pensées des djihadistes, sans oublier tous les fichés S, qu'il serait facile de mettre hors d'état de nuire, ce serait la victoire assurée contre l’extrémisme, mais dans le même temps, le contraire était vrai aussi, c'était une arme redoutable contre l'intimité de tout un chacun pour peu qu'elle tombe entre de mauvaises mains, une arme de destruction massive qui bafouerait les droits les plus élémentaires de l'homme, sa liberté de penser en premier. Si des gouvernants mal intentionnés,des dictateurs, voire même des policiers, des chefs d'entreprise pouvaient lire dans les pensées de chaque personne pour peu qu'il ne soit pas de la bonne couleur de peau ou du bon parti, ce serait vite l'enfer ! Déjà que c'était loin d'être la joie, l'issue certaine serait la guerre et l'extinction de la race humaine, Marine ne voyait pas d'autre alternative à moyen ou même court terme. Les enjeux politiques, économiques, sociaux et éthiques et les implications étaient si terrifiantes que cela dépassait sa petite personne. Cette recherche était tout sauf humaniste, Marine le sentait au fond de ses tripes, comme bien souvent, elle serait réservée à une élite friquée bien entendu. Après tout, c'était bien le pognon et le pouvoir qui faisaient tourner le monde. Plus elle y pensait, plus elle se rendait compte que ce don était en fait une véritable malédiction qu'il lui fallait à tout prix cacher si elle tenait à sa peau.

 

Elle s'interrogea longuement aussi, y avait-il eu d'autres pigeons étant dans le même état qu'elle, comment le savoir ? Trop de questions sans réponse se mélangeaient, la laissant aux affres de l'angoisse .Elle aurait aimé retourner trois jours en arrière. Mais dans quel guêpier s'était-elle fourrée ? Comment allait-elle pouvoir vivre une existence normale maintenant ?

 

La jeune fille convint de ne rien changer à ses habitudes afin de ne pas éveiller les soupçons. Nul doute que sa sortie fracassante du cours avait déjà fait le tour de ses amis. Avant d'aller les rejoindre dans leur café préféré, elle se promit d'aller dès lendemain matin voir le professeur pour éclaircir la situation en lisant dans ses pensées sans rien lui révéler pour autant de son pouvoir. Elle prétexterait un effet secondaire et improviserait sur place, selon ce qu'elle découvrirait. Elle décida de prendre son comprimé, elle aurait le temps d'aviser après sa confrontation qu'elle espérait fructueuse.

 

Quant elle arriva, le bar était bondé et Marine dut jouer des coudes pour retrouver ses camarades, qui, l'ayant vue entrer, lui faisaient de grands signes tout en riant.

 

Jeanne était accompagnée de son nouvel amant, Paul, les autres étaient tous là, Luc, que Marine considérait un peu comme son frère, Guy, le boute-en-train et Viviane, jeune fille timide mais très attachante dès qu'on rompait sa carapace. Cela faisait trois ans qu'ils se connaissaient et on les nommait « les Mousquetaires ». Si Jeanne et Luc venaient d'un milieu aisé, Guy et Viviane, tout comme Marine, étaient boursiers. La joyeuse bande vivait en Franche-Comté et se retrouvait souvent durant les vacances pour partir en virée.

 

A peine s'était-elle assise que le phénomène recommença, cela fusa de toute la tablée. « putain, quelle galère, où il est ce con ? » « y commence à m'gonfler lui à me coller comme ça ! » « et si je demandais à Marine ? » « l'a pas l'air fameux son shit ».Les pensées de ses amis se télescopaient dans sa tête et formaient un brouhaha très pénible pour Marine qui restait assise, raide comme la justice, silencieuse, contrairement à son attitude exubérante. Ses compagnons, voyant son trouble , la questionnèrent sur son état mais elle prétexta une migraine pour se préparer à écourter la soirée. Pour son plus grand désarroi, en se rendant aux toilettes, elle constata que le phénomène empirait, cette fois, il lui suffisait de croiser une personne pour lire dans ses pensées. Elle en fit l'expérience en dépassant un couple enlacé qui se dirigeait vers la sortie. Tout en souriant amoureusement à son épouse, elle entendit alors son mari « Vite au dodo avec un bon somnifère pilé dans ton whisky ma vieille carne, j'en peux plus de tes délires sado-maso » Marine sourit en songeant que les apparences étaient trompeuses, qui aurait pu croire, en voyant cette femme austèrement vêtue d'une grande jupe informe grise et d'un corsage au col Claudine sagement boutonné jusque sous le cou,que c'était une adepte du bondage !

 

Très vite, la soirée se transforma en véritable cauchemar, Marine comprit alors les schizophrènes, elle-même n'allait pas tarder à devenir complètement dingue au train où la situation évoluait. Sa tête était devenue le siège d'un véritable concerto de voix qui se chevauchaient, s'entremêlaient pour former un tohu-bohu confus d'où sortaient parfois quelques bribes difficilement audibles. Aux alentours de minuit, son cerveau était capable d'entendre, sans rien comprendre l'ensemble de tous les consommateurs, un véritable orchestre de voix s'était installé dans sa caboche. C'en était trop, Marine se leva et après avoir dit bonsoir à ses amis, partit à pied en empruntant les vieilles ruelles du centre-ville afin de ne rencontrer personne. Heureusement, elle était malgré tout parvenue à donner le change à sa bande qui, toute la soirée, avait questionné et taquiné le nouvel amant de la gourmande Jeanne.

 

Quand elle se coucha, elle était effarée. Toute la nuit, elle se tourna et se retourna dans son lit sans trouver le sommeil, en proie à mille interrogations. Elle ne cessait de songer aux conséquences désastreuses si un tel cachet était commercialisé. Lui revint en mémoire une émission télévisée dans laquelle certains journalistes affirmaient que la CIA s'était servi de jeunes soldats pour expérimenter des cachets à base de LSD et d'amphétamines dans le but de décupler leur conscience, réduire leur fatigue et accroître leur résistance au combat et affirmaient même que ces tests continuaient dans le plus grand des secrets. Ces rumeurs avaient été démenties mais au vu de sa situation, elle songea que celles-ci n'étaient certainement pas de l'intox et puis elle savait bien que la presse était muselée au profit du fameux secret/défense !. De plus, elle se demandait si elle devait continuer de prendre ses foutus comprimés, le soit-disant prof avait bien insisté sur le fait qu'interrompre le traitement pourrait entraîner des effets secondaires très handicapants. Quand elle avait voulu en savoir plus, il avait planté ses yeux hallucinés dans les siens en lui disant que de toute façon, cela n'arriverait pas. Tétanisée, elle n'avait rien trouvé à lui rétorquer.

 

Le matin, elle avait repris un peu d'espoir, d'ici peu, elle allait enfin savoir ce que ce satané prof manigançait réellement.

 

A  suivre

 

 


28/07/2017
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VOLEUR D’ÂMES suite et fin

CIEL TROU SERRURE.jpg

 

Grâce à Luc et à son enseignement, je savais maintenant combien mon existence était une vaste farce dont j'avais été le dindon durant bien trop longtemps. Restait néanmoins le plus important à accomplir, à savoir, faire quelque chose de ce qu'on avait fait de moi, pour reprendre les propres mots de Sartre.Je me rendais compte que c'était bien plus facile à dire qu'à réaliser et que ce n'était pas une mince affaire. Comment allais-je m'y prendre pour me « désencager » de tous ces carcans dans lesquels j'étais recluse depuis tant d'années ? J'en passai des nuits blanches tentant de chercher la solution les yeux rivés au plafond, retournant la situation dans tous les sens, comment faire ? Comment être ? Telle était la question ! Car, de la théorie à la pratique, il y avait sans nul doute au moins un million de hics !. Je fis part de mes inquiétudes à Luc un mercredi, alors que nous flânions sur les hauteurs de Belleville. Malgré le soleil, il avait gardé son bonnet péruvien, d'où sortait sa longue natte grise parfaitement tressée, il portait son éternel sac à dos sur son épaule et son allure ne laissait personne indifférent, même dans cette métropole où tous les looks se côtoient. Je pouvais deviner, aux regards en biais que les personnes nous lançaient, leur curiosité malsaine face à notre drôle de couple. Quand je lui en fis la remarque, cela le fit sourire et il me taquina en me lançant que si je me préoccupais encore du regard des autres, c'est que le chemin à parcourir serait long pour aller à ma rencontre. Quand il me parlait, je redevenais une petite fille, mes yeux brillaient, j'avais soif de savoir, la brèche dans mon âme ne demandait qu'à accueillir la lumière et une sève nouvelle.

 

C'est lorsqu'il me parla de sa vie au quotidien durant six ans au sein d'une tribu, dont le chef était un descendant du grand Seattle, célèbre pour le discours qu'il aurait prononcé en 1854 en réponse au président, lui proposant de laisser ses terres aux blancs en échange d'une réserve, que ma vision changea totalement. Déformé et enjolivé au cours des années, comme le sont bien souvent les ouvrages sacrés tels que le coran ou la bible, ce récit n'en demeurait pas moins puissant et juste. Il m'ébranla fortement. En effet, comment troquer la terre, l'air, le ciel, de quel droit vendre ce qui ne nous appartient pas ? Luc m'expliqua alors l'animisme, cette croyance amérindienne, adaptée selon les besoins géographiques des tribus, si certaines honoraient le ciel, dans le sud, c'était la déesse Maïs qui était célébrée, mais, dans son universalité, tous admettaient le caractère sacré de chaque chose, animée ou non, nommée « Wakan Tanka » que l'on pourrait traduire par « Grand Esprit » ou « Grand Mystère » selon les régions. Ils reconnaissaient aussi la connexion entre tous les éléments dans l'univers, nous-mêmes faisant partie de ce grand tout, pour eux, toutes les choses étaient liées comme par le sang unissant une même famille, la nature faisant partie intégrante de nous. Selon eux, et j'aimais cette image, l'homme ne tisse pas la toile de sa vie, il n'est qu'un fil du tissu et ce qu'il fait à la toile, il le fait à lui-même De même, le monde serait formé de vibrations lumineuses et sonores, ce qui fut par ailleurs prouvé bien des années plus tard par la science, l'univers entier serait une concentration de cercles, la ligne droite n'existant pas dans la nature, d'où la disposition des villages, ainsi que des tipis, j'étais envoûtée et scotchée tout à la fois par ces révélations . Dès lors, je m'immergeai totalement dans cette culture altruiste, on était loin de l'image des peaux-rouges sanguinaires véhiculée par les westerns américains des années 50! J'étais admirative devant ce peuple qui vivait en parfaite harmonie avec notre terre mère nourricière, je me souvins qu'âme en latin se traduisait par « anima »ceci expliquant cela. Je dévorais les livres que me conseillait Luc sur le sujet. Il m'apprenait beaucoup aussi car il était un grand érudit. Lors de ses pérégrinations, il avait rencontré et discuté avec le professeur amérindien John Mohawk, inventeur le la célèbre théorie Gaïa, pionnier de la défense de l'environnement. Controversé par ses pairs, il était persuadé que la terre est un organisme vivant qui se régule lui-même, convaincu que notre planète est forte et peut prendre soin d'elle-même, avertissant dans ses ouvrages l'humanité future, qui, à ses yeux, n'est qu'une espèce résidente qui pourrait devenir fragile. Je songeai que c'était un grand visionnaire, tout comme ces ancêtres, précurseurs de l'écologie. Luc me confia combien débattre avec cet homme avait contribué à changer son mode de vie, lui-même croyait en cette théorie, comme beaucoup, je m'en aperçus plus tard. J'étais moi aussi emballée, comment ne pas y croire au vu de tous ces dérèglements climatiques, n'était-ce point la terre qui tirait la sonnette d'alarme ? Je me souvins alors de l'étoile filante qui avait déchiré le ciel lors de notre première rencontre, maintenant, j'étais persuadée que c'était une signe du cosmos. Ma façon de penser était en train d'amorcer un virage à 360. Bien sûr, comme la plupart des gens, je triais mes déchets, me désolais des tsunamis, inondations et autres mais je passais à autre chose et n'y songeais plus, trop accaparée par ma vie trépidante qui se révélait en fait d'une vacuité désolante. Je me rendais compte combien j'avais pu être superficielle, je m'en voulais de cette attitude inconsciente mais Luc, résilient se faisait rassurant, me disant que je devais m'accepter avec mes imperfections si je voulais aller au devant de cet autre moi qui m'attendait. Je me souviens qu'à partir de ce jour-là, je n'eus plus d'appréhension ni de questionnements. Morphée, de nouveau, me tendait les bras la nuit venue. J'avais trouvé ma porte de sortie, Luc m'avait donné les outils, ne me restait plus qu'à m'en servir et bâtir pierre après pierre mon nouveau moi. Je commençai par troquer escarpins et tailleurs contre des jeans et des baskets confortables, sur les conseils de Luc, je me rendais souvent en forêt. J'y allais seule, attentive au moindre bruissement de feuille, au vent dans les branches, au soleil traversant la futaie, souvent, j'enlaçais un arbre et je me sentais ragaillardie, pleine d'énergie. Lors de ces balades, je me prenais à philosopher. L'arrivée du progrès, de la mécanisation, nous avait détournés de la nature, pire, par lui, le poumon de la terre était au plus mal, complètement intoxiqué par la fatuité de l'homme, qui se prenait pour un démiurge alors qu'il n'était que brin de poussière. Chaque jour, des espèces animales ou végétales disparaissaient, de même que des tribus aborigènes. Nous avions voulu conquérir ce que nous aurions du vénérer et protéger et nous en payions le prix fort. Nous étions en train de nous auto-détruire allègrement. La terre réclamait son dû, l'heure était à la créance. De cela, j'étais sûre.

 

Dans mon entourage, on se questionna. Ma famille, mes amis s'étaient aperçus de mon changement, je délaissais les sorties du jeudi soir, je ne prenais plus de plaisir à me trémousser dans une boîte, collés les uns aux autres, la musique commerciale m'insupportait pourtant quand ils me demandaient ce qu'il m'arrivait, je ne disais rien, je ne me sentais pas encore prête, ma mue n'était pas terminée. Bien évidemment, ce bon vieux Hans Xyolitique n'était pas en reste. Il avait décrété que tout ce chamboulement était du à mon changement de cap. Je ne voulais surtout pas le dissuader. Me trouvant nerveuse (évidemment, je faisais tout pour lui taire mes découvertes), il me prescrit une cure de benzodiazépine, cela régulerait ma dopamine à ses dires. J'allai les chercher et les jetai ensuite directement à la poubelle. Je me souvenais de cette phrase de Susan Sontag affirmant que la santé mentale est un confortable mensonge. Cette phrase prenait désormais tout son sens à mes yeux.

 

Trois mois après notre première rencontre, j'avais pris ma décision et je sus enfin comment j'allais vivre pour être moi, mon moi que je m'étais forgé grâce à l'aide providentielle de Luc. Un soir que toute la famille était réunie pour le souper, je leur annonçai tout de go que j'avais pris un congé sabbatique d'une année afin de me ressourcer et d'aller à la rencontre des tribus animistes. A cette annonce, une chape de plomb s’abattit sur les miens. Les couverts restèrent suspendus en l'air, tous semblaient figés, les yeux ronds braqués sur moi, comme changés en statues de sel. Après un instant de flottement, s'ensuivit alors une cacophonie de tous les diables, chacun voulant me faire entendre raison. Je devais redescendre sur terre, dans la vraie vie à leurs dires, qu'est-ce qui me passait par la tête, qui avait pu m'y mettre de telles inepties ! Bref, si je leur avais annoncé que je quittais la maison pour m'enfuir à Doubaï avec un riche émir du pétrole , l'indignation n'aurait pas été pire !. J'étais têtue aussi, je me mis debout et leur demandai de m'écouter calmement. Ce qu'ils firent à contre-coeur mais ils connaissaient mon caractère et savaient qu'ils n'y couperaient pas. Je leur expliquai alors tout, depuis ma première rencontre avec Luc, nos entrevues hebdomadaires, le cheminement qui avait été le mien. Si au début, tous furent d'abord incrédules puis réticents à cette idée, surtout mon compagnon, ils comprirent vite que j'étais inflexible J'avais pris ma décision et rien ne me ferait revenir en arrière. Pierre finit par être d'accord mais il voulait rencontrer Luc et avait du mal à avaler le fait que je ne lui aie rien dit durant des mois.

 

Les dés étaient jetés. Je partis le mois suivant. Luc avait rencontré Pierre et ceux-ci s'étaient trouvés de nombreux points communs, tous deux étaient férus d'astronomie et le courant passa aussitôt entre eux. Plus tard, Luc finit par se confier et m'avoua avoir perdu sa compagne, une amérindienne, qui était décédée d'une leucémie il y avait de cela cinq ans. C'était le grand amour de sa vie et jamais il ne s'en remit vraiment. Il avait choisi de vivre dans la rue afin de s'émanciper de ses chaînes. Régulièrement, il retournait dans la tribu de son épouse, où son père et ses frères vivaient encore. Et vous savez le meilleur, j'ai rallié à ma cause mes amies et toute ma famille. Je suis fière d'être qui je suis et souvent je me répète cette petite phrase comme un mantra « tu nais toi quand tu nettoies ce qui n'est toi *» Dans deux mois, nous repartons, cette fois-ci avec Pierre et Luc qui nous a fait l'immense honneur de nous faire rencontrer sa belle-famille. Au final, j'suis vraiment contente d'avoir fait la nique à la société. Je me suis trouvée et je vais faire tout pour me sauvegarder, soyez-en sûrs !

 

FIN

 

* Auteur anonyme

 

N.B : La théorie Gaïa existe bel et bien, tout comme le professeur qui l'a découverte, pour de plus amples informations, il vous suffit de taper le nom dans votre moteur de recherches.

Quant au fameux discours du chef Seattle, comme beaucoup d'ouvrages religieux, au fil des ans, celui-ci a été controversé car enjolivé par des poètes et un journaliste qui l'aurait modifié au début des années 1970 en repentance. En effet, le chef Seattle parle du chemin de fer, or à cette époque, il n'était pas implanté dans la région, pas plus que les bisons également évoqués. Quoiqu'il en soit, il a vraiment prononcé un discours mais bien moins poétique que celui que l'on trouve désormais sur divers supports tels que le site « Radio Réveil » ou autres.


18/02/2017
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