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RENCONTRE EXPLOSIVE SUR LA PLAGE

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Des cordons de police, empêchant les badauds de trop s'approcher, avaient été installés devant la foule qui ne cessait de croître. Les télévisions locales et nationales étaient en place depuis le matin. Tous se bousculaient, se poussant sans vergogne afin de voir de leurs yeux l'impensable. Il faut dire que le phénomène avait de quoi laisser pantois. La belle plage de galets d'Atretet, haut lieu touristique et pittoresque, s'était transformée en l'espace d'une nuit en une grève de sable fin, parsemée ça et là de superbes coquillages. D'éminents spécialistes avaient déjà commencé de tenter d'expliquer cette mutation pour le moins extraordinaire. Chacun y allait de son histoire, pour les uns, c'était l'oeuvre des extraterrestres, d'autres y voyaient un signe de Dieu, tandis que des prédicateurs fanatiques affirmaient que c'était le début de l'apocalypse, les théories les plus loufoques circulaient. Néanmoins, tous se trompaient, la vérité était ailleurs.

 

Il y a fort longtemps, bien avant l'invention du sextant, quand les hommes vivaient encore en harmonie et étaient solidaires les uns des autres, Atretet était un village de bord de mer qui ne vivait que grâce à la pêche. A cette époque reculée et périlleuse, les marins se dirigeaient grâce aux étoiles, aussi, nombreux étaient les naufrages et les malheureux qui périssaient n'étaient jamais rendus par la mer. L'océan les engloutissant, les épouses, mères, filles, privées des dépouilles des disparus, ne pouvant offrir de sépulture décente à leurs êtres chers trouvèrent un stratagème pour pallier leur désespoir. Dès lors, un curieux rite se mit en place dans le village. Aussitôt qu'un marin périssait, sa famille se rendait sur la plage avec une pierre censée représenter le disparu. Ensuite, après tout un cérémonial, celle-ci était posée religieusement sur le sable fin. Ce caillou renfermait toute leur douleur. Au fil des siècles, la coutume perdura et, peu à peu, il fut impossible de distinguer le sable tant les pierres étaient nombreuses. Longtemps surnommée « la plage des maudits »les habitants l'évitaient, on ne pouvait d'ailleurs s'y rendre tant c'était dangereux de marcher sur ce sol tranchant. Certains vieux racontaient à la veillée que, le soir venu, on pouvait entendre les pleurs déchirants de toutes ces malheureuses qui, au fil des siècles, avaient perdu un des leurs. Puis le temps passa, érodées par le temps, les pierres devinrent de beaux galets que l'on venait admirer de toutes parts. Toutefois, un décret interdisait aux touristes d'en prendre sous peine de se voir affliger une forte amende. Personne n'aurait osé enfreindre cette loi, pas par peur des représailles mais parce de curieuses légendes entouraient cette plage. Tous les villageois avaient encore en tête l'histoire de cet homme qui, ayant dérobé des galets, avait été retrouvé momifié chez lui le lendemain matin, il tenait encore les pierres dans sa main. Personne n'en parlait vraiment mais tous savaient qu'il n'était pas le seul à avoir rendu l'arme à gauche après avoir pris des galets. Indéniablement, il se passait des événements inexplicables sur cette plage. Légendes urbaines ou réalité, même les plus curieux n'osaient aller à l'encontre de cette interdiction, trop de bizarreries s'étaient déjà déroulées, des morts inexplicables, des sanglots que certains entendaient, il paraissait donc inutile de tenter le diable. Bien évidemment, ce lieu intriguait et tous venaient le visiter.

 

Pourtant, dans les profondeurs, les créatures marines en avaient assez de cette situation qui durait depuis des siècles. Il était devenu impossible de nager sans tomber sur un squelette échoué ça ou là. Ceux-ci, nombreux, faisaient peur aux enfants ondins, qui jouaient, sans compter les escapades amoureuses des sirènes qui se terminaient bien souvent en eau de boudin ! En effet, ce n'était pas le top du romantisme de se balader tranquillement avec son amoureux pour se trouver queue à queue devant un ou plusieurs squelettes grimaçants. Et puis il y avait ces sanglots incessants qui revenaient nuit après nuit. Mélinis, une jeune sirène qui n'avait peur de rien, décida, au nom de tout le peuple abyssin, d'aller exposer le problème au grand Neptune et d'en appeler à sa clémence afin de trouver une solution. Nullement intimidée par le vieux sage, elle se rendit dans son antre elle lui dit tout d'une traite, en concluant que l'heure était venue de rendre ces ossements aux âmes des femmes qui erraient sur la grève. Le Maître la laissa parler puis, au bout d'un moment qui parut interminable à Mélinis, il lui dit :

- Tu n'as pas tout à fait tort. Quoique que je n'ai que dédain pour ces bipèdes pensants qui polluent notre atmosphère mais après tout, pourquoi pas, les fonds redeviendraient paisibles, laisse-moi, je vais y réfléchir !

 

Il ne fut pas long à prendre une décision et trois lunes plus tard, tout le peuple de l'eau eut droit à un magnifique spectacle. Le grand Neptune, nappé dans sa toge d'algues d'apparat, juché sur un corail, tendit sa main droite tout en murmurant d'étranges invocations. Soudain, l'océan tout entier se mit à rugir tandis que de toutes parts, des milliers de squelettes vinrent en rang serrés, nimbés d'une douce lumière, jusqu'aux pieds du sage. Celui-ci tendit alors le bras vers le lointain rivage. Comme s'il avait donné le mot d'ordre, tous les squelettes furent emportés par de gigantesque lames jusqu'à la grève. L'opération dura un certain temps tant ils étaient nombreux. Dès qu'ils entraient en contact avec les galets, squelettes et pierres éclataient en une myriade de poussière lumineuse qui s'élevait dans les airs pour redescendre doucement sur le sol. Chacun avait enfin retrouvé sa chacune, leurs âmes étaient réunies à tout jamais dans le grand tout, certains, sans famille, se muèrent en coquillages, les villageois honoraient aussi la mémoire de ceux qui étaient seuls, aucun disparu n'était oublié, la solidarité était encore de mise en ces temps. Ce fut comme un immense feu d'artifice marin ! Les plus jeunes applaudissaient devant ce spectacle fabuleux tandis que quelques jeunes sirènes essuyaient une larme, ravies de ces retrouvailles se terminant en une belle osmose. Un immense éclair déchira le ciel tandis que des rires cristallins montaient de partout à la fois. C'était une scène saisissante et émouvante que de voir se retrouver des âmes qui, désormais, connaîtraient enfin le repos. Cela dura jusqu'à ce que le dernier galet explose. Puis, tout redevint calme. Toute clameur cessa et le silence enroba la nuit. Le sable brillait d'une belle clarté sous l'ombre complice de la lune.

 

Personne ne sut jamais la véritable raison de cette mutation et s'ils l'avaient su, y auraient-ils seulement cru ? Si vous rencontrez un galet en vous promenant sur une quelconque plage, ne le ramassez pas, qui sait si ce n'est pas un cœur attendant sa délivrance ?



24/05/2016
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