Mauxdescrisvains

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LES TÉMOINS DE LUMIÈRE

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Cela faisait maintenant presque une demi-heure que la tempête faisait rage, les éclairs déchiraient le ciel, illuminant le salon tout entier. La grêle battait les carreaux, le tonnerre rugissait, c'était un orage de tous les diables. J'avais débranché télé et ordis et deux lampes de poche, dont j'avais au préalable vérifié le bon fonctionnement, étaient posées devant moi. Par deux fois déjà, le courant s'était coupé pour, heureusement, revenir tout de suite. Je regardai ma montre, minuit passé, affalée sur le divan en bas, mon magazine à la main, je n'osais pas aller me coucher. Guy était parti le matin en déplacement et j'étais seule dans la grande maison, Gaïus, notre chat et Chipie la chienne étaient là bien sûr, mais eux non plus n'en menaient pas large, à les voir recroquevillés sur eux-mêmes, l'air apeuré. J'aurais voulu téléphoner à une amie, Claire, Roselyne ou Vivi, qui m'aurait rassurée, j'en suis sûre mais voilà, j'avais débranché la box, mon portable ne passait pas, comme d'habitude, dans ce coin paumé, ignoré par la 3G. J'étais donc désespérément seule et terrifiée, ayant une trouille terrible des orages, surtout la nuit car pire encore que les éléments déchaînés, ma hantise est de me retrouver dans le noir. A tel point que, même pour dormir, j'allume une veilleuse qui diffuse une pâle lueur rassurante. Quasi paralysée, j'essayai de me raisonner, mais rien à faire. Si j'avais pu, nul doute que j'aurais passé toute la nuit sur le divan, ou au moins attendre que l'orage cesse, mais j'étais toutefois obligée d'aller à l'étage, ne serait-ce que pour me déshabiller, brosser mes dents, mais plus important encore, le livre que je lisais était sur ma table de nuit. Zapper les ablutions du soir n'aurait pas été un souci mais impossible de me passer de mon bouquin. Je parlai tout haut dans la pièce, sous le regard étonné de mes compagnons, pour me donner du courage, prit résolument les lampes de poche et courus comme une dingue jusqu'aux escaliers que je grimpai quatre à quatre et ouvris ma chambre à la volée, tandis que mon cœur tambourinait à tel point que je crus qu'il allait me lâcher. Je me voyais déjà terrassée, victime d'une crise cardiaque, tout juste si je ne sentais pas des fourmillements dans le bras gauche, annonciateur du trépas. Je repris mon souffle tant bien que mal. Terrorisée, j'enfilai en quatrième vitesse mon grand tee-shirt et me glissai sous la couette sans passer par la case salle de bains, tout en serrant convulsivement mes deux lampes. Avant de bouquiner, je vérifiai une dernière fois que celles-ci fonctionnaient, j'avais par précaution, inséré des piles et ampoules neuves plus tôt dans la soirée.

Tout en tournant les pages de mon livre, je me rendis compte que je ne comprenais rien à ce que je lisais, mon esprit était ailleurs. Cela faisait maintenant une heure que la tempête faisait rage et je sentais l'angoisse sourdre. La chambre me semblait menaçante, je me forçai de ne pas regarder sous le lit, ma part rationnelle me disait que j'étais stupide mais je n'y pouvais rien, j'étais face à ma terreur, je n'étais plus une adulte mais une enfant épouvantée. Soudain, la chambre s'illumina, la foudre tomba avec un fracas terrible et je me trouvai plongée dans le noir total. Horrifiée, j'allumai les deux lampes posées sur mon lit. Rien ne se passa. Les doigts tremblants, je recommençai à appuyer sur les interrupteurs. Toujours rien ! C 'était tout simplement impossible, je les avais vérifiées et rien ne clochait. Une terreur sans nom m'envahit. Il se passait quelque chose de pas normal et je n'aimais pas du tout ça, j'avais l'impression d'être au cœur d'un roman de Stephen King. Tétanisée, je sentis une sueur aigre couler le long de mon échine tandis que je frissonnais. C'est alors que la chambre s'illumina, et ce que je vis faillit faire chanceler ce qui me restait de raison. Trois lumières aveuglantes, ressemblant étrangement à des formes humaines androgynes, s'élevaient devant moi, montant jusqu'au plafond, je pouvais distinguer leurs longs membres se tendre vers moi. Je n'eus même pas le temps de crier. L'une d'entre elle se pencha sur moi et me traversa toute entière. Je la sentis pénétrer par mes pieds, monter le long de mon corps pour parvenir jusqu'à mon esprit. Pourtant, je n'eus pas du tout mal, au contraire, une douce chaleur m'enveloppa aussitôt tandis qu'un bourdonnement, semblable au bruit d'ondes électromagnétiques, envahit mes oreilles. Je me sentis subitement légère. Quelque part, à l'orée de ma conscience, je sentais confusément que, maintenant que l'entité était en moi, je n'avais plus besoin d'avoir peur, j'étais en sécurité à leurs côtés, je n'aurais su dire pourquoi mais il émanait de ces êtres bizarres une bienveillance exceptionnelle. C'est alors que les deux autres créatures me prirent par la main. Le temps d'un battement de cil et je fus propulsée dehors, dans un espèce de tunnel, je me laissais guider, étrangement légère, je m'aperçus que mes pieds ne touchaient pas le sol, j'entendis clairement dans mon esprit une voix douce et cristalline « n'aie pas peur, tu ne crains rien, suis nous » Je voulus répondre mais je ne pouvais pas parler. Je me concentrai, comme lors d'une séance de méditation et pensai très fort « d'accord » tout en fermant les yeux. Lorsque je les rouvris, nous étions dans ce qui s'apparentait à un vieille salle de cinéma. J'étais assise entre mes deux gardiens sur un vieux fauteuil rouge de cuir usé. Elles pointèrent le doigt devant elles. Sous mes yeux ébahis, apparut la terre, comme vue d'un satellite. Elle se mit à emplir toute la surface devant moi, j'apercevais très nettement tous les continents, les océans. Je ne comprenais pas du tout ce que cela signifiait, semblant lire dans mes pensées, la voix fraîche se fit de nouveau entendre « ce que tu vas voir, nul humain ne l'a vu avant toi, désormais tu es un Témoin »

Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire de témoins ? Et puis pourquoi justement moi, j'avais rien demandé, ma vie était déjà assez compliquée comme ça. Lors de notre dernière aventure, mes amis et moi, nous avions été confrontés au paranormal*, nous avions aussi vaincu des psychopathes, fomenté en secret des coups d'éclats pour réparer les exactions commises par un gouvernement corrompu jusqu'à l'os, mis notre vie en danger, rencontré même des personnages sortis des contes de fées.Tous ces actes avaient été commis grâce à notre association secrète « les Corneilles Justicières » aussi plus grand chose ne m'étonnait mais j'avoue que je n'en étais pas moins désarçonnée et curieuse tout à la fois de ce qui allait suivre.

 

Lisant dans mes pensées, un des êtres de lumière se pencha vers moi et sa voix retentit dans ma tête « tu comprendras tout le moment venu, maintenant regarde attentivement, chaque scène sera à jamais gravée en toi. Regarde et emplis ton âme de chaque image ! »

J'obtempérai sans discuter. Sous mes yeux éberlués, la terre se rapprocha, s'arrêta de tourner, et je devinai le continent américain, puis une étendue d'arbres comportant des zones complètement vierges, ravagées. Je compris immédiatement que c'était la forêt amazonienne, telles des fourmis, j'aperçus des hommes abattre les arbres par centaines. Des gerbes de sang s'élevaient dès qu'ils touchaient terre, éclaboussant les habits, les visages des hommes qui ne voyaient rien, bien entendu. D'eux, émanait une aura noirâtre, je sus combien leurs âmes étaient mauvaises, je le ressentis au plus profond de moi, j'avais compris que ce que je voyais n'était que des projections mentales que m'infligeaient ces êtres bizarroïdes, par contre j'ignorais dans quel but j'assistais à de telles atrocités. Puis, subitement, le décor changea, la forêt fut remplacée par ce qui ressemblait à une superbe salle de réception d'un grand palace parisien. Une pièce somptueuse, ornée d'une grande rosace au plafond, supportait, en son centre, un lustre constitué de pampilles de cristal de Bohême, de riches tapisseries d'Aubusson décoraient les murs, des œufs de Fabergé étaient posés négligemment ça et là, sur des petits guéridons précieux. Des femmes, habillées par les plus grands couturiers (je reconnus certaines vedettes du petit écran ainsi que des hommes politiques) conversaient avec leurs congénères, une coupe d'un champagne millésimé à la main tandis que du petit personnel s'affairait, apportant caviar et petits fours, s'assurant que personne ne manque de rien. La gent féminine exhibait avec ostentation ses diamants, en tournant la tête d'un geste habile qu'on aurait pu croire naturel, sauf qu il avait été étudié minutieusement auparavant devant la glace, avec force de mimiques. Je sentais combien ces riches personnes étaient superficielles, une aura rouge, celle de l'envie, de la vénalité et de la convoitise émanait de tous ces bipèdes verticaux se faisant des courbettes, portant le masque de la bienséance. A cette image d'opulence, se superposa alors un autre tableau. Des enfants miséreux dans les mines lointaines, courbés, sales et en guenilles, passant leur courte existence dans des galeries, comme l'avaient fait leurs parents et les parents de leurs parents avant eux, entaillaient la roche, à la recherche du précieux minéral qui leur assurerait de quoi subvenir aux besoins de la famille pendant un court moment. A le raconter, je me rends bien compte que tout cela paraît affreusement cliché et surfait pourtant je l'ai vu, de mes yeux, ou plutôt par ceux de l'androïde. La scène se troubla pour être aussitôt remplacée par un quartier de la capitale. Peut-être les quais de la Seine, aux abords de bouches de métro, mais peu importe le lieu, des enfants fouillaient dans les poubelles à la recherche de nourriture tandis que des hommes et des femmes tentaient de se réchauffer auprès d'un brasero, d'autres tendaient la main sous l'oeil goguenard des passants. Certains étaient allongés sur une simple couverture, recouverts de papiers journaux. Je percevais leur aura de douleur, une couleur pourpre. Des larmes roulèrent sur mes joues, je ne tentai pas de les essuyer. Sans aucune transition, ce sinistre tableau disparut et je vis la péninsule arabique. Je vis l'innommable, des enfants guerriers, Kalachnikovs à la main, des femmes torturées avant d'être lapidées, des charniers à ciel ouvert, des armes brandies par des hordes de fous furieux et toujours le sang partout, engorgeant la terre, s'élevant jusqu'aux cieux. Je vis des femmes mutilées au plus profond de leur intimité, des enfants violés, des fillettes hurlant alors qu'on les arrachait aux bras de leurs parents qui les avaient vendus parce qu'ils ne pouvaient subvenir à leurs besoins. Mes larmes redoublèrent, je crois que je commençais à comprendre ce que voulait dire « Témoin ». Je voulus demander pourquoi moi, je savais déjà, comme beaucoup, toutes ces exactions et injustices de par le monde mais l'espèce d'androïde électrique me dit de me taire et de continuer de regarder. De nouveau, une immensité désertique, au sol craquelé, se refléta, je vis des cases, des enfants au vendre arrondi par la malnutrition, les yeux immenses, sur lesquels se posaient les mouches. Je vis le fond des océans pollués, des chasseurs tuant les éléphants pour l'ivoire, des rhinocéros amputés de leur corne, des hommes harassés défiler dans les rues dans divers pays de la péninsule, brandissant bannières et écriteaux. Puis comme dans un film en accéléré, les images se succédèrent, César et le peuple se réjouissant devant des êtres humains se faisant dévorer par des lions, des hommes se battant jusqu'à la mort pour le plaisir des rois tandis que le peuple se terrait, je vis les esclaves dans les champs de coton implorer Dieu, les lynchages des noirs par des fous furieux encapuchonnés, les bûchers sur la place publique où brûlaient les prétendues sorcières, sous la harangue de la foule déchaînée. Je vis le champignon nucléaire qui décima Hiroshima et eut des répercussions sur sa population durant des décennies, je vis des camps de concentration emplis de douleur, de souffrance intolérable, je vis des potences s'élevant dans le ciel. Je compris alors que j'assistais à la barbarie de l'homme et à l'agonie de la terre, j'éprouvai alors un grand sentiment de honte. Les yeux noyés de larmes, je pensai très fort « pourquoi, pourquoi m'infliger cela ? je sais que l'homme est la pire des espèces vivantes de la planète, je sais qu'il est le seul prédateur à éprouver du plaisir quand il tue mais pourquoi ? Pourquoi moi ?  ».J'aurais voulu prendre ma tête entre les mains mais je m'aperçus que c'était impossible. J'étais figée sur ce fauteuil qui n'était qu'une projection mentale de ces drôles d'aliens. J'attendis un long moment, je crus qu'ils n'allaient rien me dire, puis soudain, tout s'illumina de nouveau, la terre disparut et je vis défiler des visages célèbres, il y eut Martin Luther King, mère Térésa, l'Abbé Pierre, Gandhi, Nelson Mandela et bien d'autres, tous étaient auréolés d'une douce lumière bleu. Je saisis immédiatement le sens de cette image. Les hommes n'étaient pas tous mauvais, voilà ce que ces êtres venus d'ailleurs voulaient me dire, certains avaient œuvré toute leur existence pour un monde meilleur, la plupart s'étaient fait lâchement assassiner. Néanmoins, je continuais à me demander pourquoi moi, je n'avais pas du tout l'étoffe d'une héroïne et je tenais à ma peau, que pouvais-je faire ? Perplexe, je les regardai tour à tour « qu'est ce que vous attendez de moi ? » pensai-je. Ils me dirent de continuer de regarder. Sidérée, je vis l'image de mes amis, ils y étaient tous, toute la bande des « Corneilles Justicières », Vivi qui rigolait franchement, Roselyne, devant son clavier, Claire examinant son smartphone, Lafée courant dans une rue et Laurent, les mains dans le dos, contemplant la lune, c'était incroyable ! Pourquoi eux ? Que venaient ils faire dans cette histoire ? Leur visages devinrent flous et j'eus devant moi de nouveau la terre mais celle-ci était différente. Je devinai des champs de fleurs, des jardins enchanteurs aux arbres ployant sous de superbes fruits , des océans vierges de toute pollution. Les hommes étaient heureux, l'aura noirâtre avait disparu, ils étaient nimbés de bleu, la même couleur que celle des grands hommes de paix. Plus aucune voiture ne circulait. De charmantes petites maisons, ressemblant à celles des Hobbits étaient disséminées partout sur le globe. Plus de gratte-ciel, de métro. J'étais stupéfaite devant cette magnifique vision ! Mes yeux s'écarquillèrent. L'une des créatures se mit alors à me parler par télépathie. Quand elle eut terminé, j'étais sidérée par toutes ces révélations.

 

Ces espèces d'extraterrestres étaient des G.E.T.U., des Gardiens Éclaireurs de tous les Univers. Cela faisait des millénaires qu'ils veillaient sur les planètes et la situation sur terre devenant de plus en plus préoccupante, ils avaient décidé de passer outre l'interdiction de ne jamais se faire voir par la race humaine. Venus d'une lointaine nébuleuse, ils avaient décidé de jeter leur dévolu sur l'un de nous. Ils profitèrent de la foudre pour entrer en contact avec moi. Ils me dirent que notre mission était désormais de parcourir le monde en apportant des messages de paix aux hommes. Je leur rétorquai que j'étais pas Jésus, qu'il faudrait voir à pas confondre, j'me sentais pas du tout l'âme d'une prédicatrice et leur rétorquai que cela faisait des millénaires qu'il en était ainsi. Ils me dirent que justement, bientôt cela changerait, le réchauffement climatique, les inondations, les catastrophes n'étaient que les signes avant-coureurs de la maladie de la terre. La cupidité sans bornes du bipède pensant était en train de transformer notre planète en un immense cimetière, pour échapper à l'extinction de son espèce, il fallait des êtres de bonne volonté et surtout convaincants. Ils me dirent encore que nous avions été choisis pour deux raisons, la première étant que nous étions des petits auteurs anonymes, la deuxième parce que nous avions eu le courage de nous opposer aux gouvernants pourris afin de fonder notre organisation secrète. Je rétorquai que la tâche était bien trop ardue, que jamais nous n'y parviendrons, comment changer le cœur des hommes ? Ils me rassurèrent en me disant que nous bénéficierons de leur aide, invisible, cela va de soi. Ils conclurent en disant qu'ils ne seraient jamais loin et qu'il suffisait d'y croire pour y parvenir, c'est la raison pour laquelle ils m'avaient laissé entrevoir la terre telle qu'elle serait une fois débarrassée de toutes les impuretés de l'homme. Je me sentis soudain propulsée à travers le tunnel que nous avions traversé mais cette fois j'étais seule.

 

Quand je rouvris les yeux, j'étais dans mon lit, ma veilleuse allumée, le jour venait de poindre. Je sentais de l'électricité statique parcourir mon corps, je sus que je n'avais pas rêvé. Je me précipitai en bas pour appeler mes amis via Skype. La tâche qui nous attendait était ardue mais je me souvenais de la dernière phrase entendue « Il suffit de croire en votre succès et vous vaincrez, soyez en assurés » Comme l'aurait dit Vivi « à cœur vaillant, rien d'impossible » et l'impossible, nous commencions sérieusement à en connaître un sacré rayon !



06/06/2016
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