Mauxdescrisvains

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VOLEUR D’ÂMES 1ère partie

 

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Ils m'ont enfermée et pris mon âme. Au début, j'ai été bouleversée et en colère tout à la fois ! Pas facile de reconnaître qu'on s'est fait avoir durant tant d'années. Bon,j'admets être foncièrement naïve mais là, non seulement la coupe était pleine mais elle débordait complètement ! Avant tout ce chamboulement, j'étais peinarde dans ma petite vie, j'avais tout pour être heureuse, un bon job, correctrice dans une des maisons d'édition les plus prestigieuses de Paname, un compagnon, chef-comptable, avec lequel j'avais eu deux garçons, des jumeaux, âgés de vingt ans, Sylvère et Valère, tous deux en troisième année de lettres modernes. Nous étions propriétaire d'une maison de maître de 500 m2 en proche banlieue, au design créé sur mesure par un grand architecte. Je changeais de voiture aussi souvent que j'en avais envie, nous faisions toujours en sorte d'acheter le tout dernier écran plasma en vogue et possédions une petite résidence secondaire dans le sud-ouest, vers Carcassonne, bref tout, j'avais tout ce qu'une femme peut désirer. Malgré mes quarante balais, je prenais grand soin de moi, séances d'U.V, fitness, peeling, j'étais encore bien foutue, bon, d'accord, les deux prothèses mammaires rehaussant ma poitrine et l'augmentant de deux tailles n'y étaient pas pour rien, mais même sans cela, je plaisais aux hommes, je le savais aux regards concupiscents qu'ils me lançaient au hasard d'une rencontre, mais j'étais fidèle, mon compagnon m'aimait et la réciproque était vraie, l'hiver, nous allions en famille au ski, bref le bonheur, quoi. Le jeudi soir était consacré à mes copines, notre rituel était immuable, sortir en boîte, se déchaîner sur la piste de danse, siroter des cocktails et fumer des pétards pour évacuer le stress de notre vie de femme surbookée. Je menais une existence incroyablement trépidante, c'est tout du moins ce que je croyais. J'étais comblée, sauf que, curieusement, je me suis aperçue insidieusement qu'il y avait quelque chose qui n'allait plus. Comment définir cette sensation ? Un peu comme lorsqu'on cherche un mot qu'on a sur le bout de la langue, mais qui ne veut pas sortir, c'était juste là, à l'orée de ma conscience. Peut-être était-ce de passer le cap de la quarantaine qui me chagrinait ? Je prenais moins de plaisir en allumant l'ordi le matin, moi qui ne m'ennuyais jamais, j'avais sans cesse les yeux rivés sur la pendule, attendant ma pause-café avec cette impression que le temps était figé. Je commençai à souffrir d'insomnies, rien de grave, le surmenage, selon le professeur Hans Xyolitique, chez lequel j'étais en analyse depuis cinq ans, recommandé par ma meilleure amie, qui, à l'entendre, soignait tous les bobos de l'âme du gratin parisien, au prix de ses séances, 500 euros la demi-heure, c'était le moins qu'il puisse faire. Il me prescrit des somnifères qui ne me firent absolument aucun effet tout en me mettant en garde contre le burn-out, « il faut vous ménager, vous octroyer du temps sinon vous risquer de décompenser Eponine! » Tu parles, Charles ! Tout cela n'était que boniments. Durant ces nuits blanches, je passais des heures à gamberger, moi qui ne m'étais jamais trouvée face à face avec moi-même, je peux vous dire que j'ai trouvé ça plutôt bizarre au début, même angoissant Cela aurait peut-être duré encore longtemps si on m'avait tu la vérité, mais je savais désormais. Ce n'était pas un problème d'hormones ou de cap !Je refusais d'être le dindon de la farce plus longtemps. J'allais réagir.

 

Ils m'ont enfermée et pris mon âme. La première fois, j'avais à peine quatre ans, on m'a arrachée à la douceur du foyer familial, cela a duré trois longues années. J'étais dans une boîte avec d'autres enfants, c'était l'apprentissage. A ce stade là, je ne le savais pas encore mais j'étais fichue, ils m'avaient mis le grappin dessus. La seconde période fut plus longue et se déroula sur un plus long cycle, j'étais dans une plus grande tôle. Puis il y eut un troisième épisode, cette fois la boîte ressemblait à une ruche, nous étions tous identiques, des ados boutonneux croyant que le monde nous appartenait. Bien évidemment ça ne s'arrêta pas là. Une nuit, je réalisai par un rapide calcul mental que j'avais passé plus de vingt ans, de mon enfance à ma vie de femme, enfermée dans des boîtes pour finir par, à mon tour, par perpétuer le cycle. J'étais horrifiée mais n'en dis rien à personne. Qui, dans ma famille ou mes amies, m'auraient comprise ?

 

Bien évidemment, quand j'ai su que je m'étais fait berner toutes ces années, je décidai de ne pas parler au professeur Xyolitique de ma découverte, il m'aurait fait enfermer illico presto et d'office à l'H.P, ou plutôt dans sa clinique huppée destinée aux riches dépressifs ou addict en tous genres, sexe, drogue, jeu, travail... . Le pire, durant ces longues nuits, après que j'aie su la vérité, j'en suis venue à me dégoûter, comment avais-je pu être aussi longtemps aveugle ? Comment avais-je pu vivre ainsi dans le mensonge ? Surtout, j'insiste, n'allez pas vous imaginer que tout ce remue-ménage neuronal m'a prise d'un seul coup, comme Newton qui, soit-disant, en voyant tomber une pomme, découvrit dans un éclair de génie les lois de la gravité ou Archimède criant Eurêka dans son bain. Parce que, comme dirait ce bon vieux professeur Hans, il y a eu d'abord un élément déclencheur, une concomitance qui tombait à pic, mais en était-ce vraiment une, tout n'était-il pas relié en fait ? Maintenant je sais, que, bien sûr, c'était écrit, Mektoub* comme disent les musulmans et tout comme Paul Eluard, j'ai compris qu'il n'y a pas de hasard, seulement des rendez-vous. .

 

Mon rendez-vous, tout à fait inopiné en l’occurrence, a eu lieu un jeudi, lors d'une de nos virées. Ce soir-là, nous avions picolé et fumé plus que d'habitude, mon amie Vivi s'était vue octroyer une promotion et était décidée à nous faire profiter de sa joie. Vers les minuit, commençant à avoir trop chaud, je décidai de prendre l'air afin de m'éclaircir les idées. Adossée contre le mur, le monde tournoyait autour de moi, les ombres des bâtiments mitoyens, sous l'éclairage blafard, semblaient menaçantes dans cette ruelle pavée, avisant un tas de cartons posés sur le sol, je m'assis dessus afin de reprendre mes esprits, c'est alors que j'entendis un juron :

— Aïe, z'êtes pas bien, poussez votre cul de là, c'est ma place !

Je sursautai en hurlant, en voyant tout à coup, surgir de dessous les cartons, un homme, un bonnet péruvien de travers vissé sur la tête, ses yeux d'un bleu limpide me lançant des éclairs et me toisant de bas en haut :

— Tous pareils, vous les bourgeois, aucun respect, merde alors, j'rêvais qu'j'étais là-bas !!

 

Quelque chose dans son allure me décontenançait. Il n'avait rien du SDF tel que je me le représentais. Parfaitement rasé, son haleine ne sentait pas la vinasse comme je m'y attendais, au contraire, malgré son jean usé jusqu'à la corde, il se dégageait de son air tout entier un certain charisme, quelque chose d'indéfinissable, peut-être était-ce dû au port altier de son allure, qui lui conférait une certaine noblesse ou à sa grande taille, il me dépassait de presque deux têtes et je mesurais 1,70 mètre. Il semblait âgé d'une soixantaine d'années, curieusement, il ne portait pas les stigmates de la rudesse de l'existence des exclus, on aurait aisément pu le prendre pour un bobo soixante-huitard, avec sa longue natte grise dépassant de son bonnet. Sous le masque de la colère, il semblait amusé, ses yeux pétillaient de malice contenue. Confuse, je m'excusai et farfouillai dans mon sac à la recherche de mon porte-monnaie afin de lui donner une pièce pour le préjudice causé. Je le vis blêmir tandis qu'un flot de paroles jaillissait de sa bouche :

—Eh là, mais vous me prenez pour qui, j'en veux pas d'votre argent, vous m'avez vu vous faire l'aumône !! J'ai tout ce dont j'ai besoin. J'vous ai rien demandé moi ! Vous croyez peut-être que la rue vous appartient aussi ! Vous vous croyez libres parce que vous avez du fric, pauvre folle ! Qui vous a permis de venir m'emmerder hein ! Moi j'viens pas sonner à votre porte, tous les mêmes, les croquants, vous voyez pas que c'est vous l'esclave, prisonnière de votre p'tite vie bien carrée, vous me faites tous pitié quand je vous regarde passer ! Ah il est beau l'monde civilisé, j'vous l'dis moi, y'a qu'à voir vos tronches quand j'vous vois passer !

 

Je ne sais pas si c'était dû à l'alcool, aux pétards mais je me mis soudain à chialer tout mon soûl, je ne pouvais plus m'arrêter, je sanglotais comme une gamine, je ne me souvenais même plus de la dernière fois où j'avais pleuré avec autant d'intensité. C'était comme si, en moi, des vannes s'ouvraient pour libérer un torrent fougueux, trop longtemps retenu. Je me mis à lui tambouriner la poitrine, les poings serrés :

— Vous êtes odieux, pourquoi vous m'dites ça, vous ne me connaissez même pas !

 

Mon interlocuteur était décontenancé devant ma réaction, je le devinai au regard qu'il me tendit. Délicatement ; il prit mon bras :

Excusez-moi madame, j'voulais surtout pas vous vexer mais faut me comprendre aussi, vous m'avez réveillé et j'suis toujours comme un ours dans ces cas-là ! C'est pas une raison pour pleurer de la sorte, puis, sortant des mouchoirs en papiers de la poche de sa veste en jean, il m'en tendit un. Je continuais de laisser les larmes inonder mon visage, mon rimmel coulait, mes cheveux étaient en bataille mais j'm'en fichais. Voyant cela, il s'assit sur un carton et tapota le sol pour m'inviter à venir à ses côtés. Je l'ignorais à cet instant mais cette nuit-là allait changer radicalement le cours de mon existence. Comme pour prouver mes dires, l'homme tendit son bras au ciel, sous mes yeux brumeux, je vis une étoile filante fendre les cieux ! Il me serra les mains en m'enjoignant de faire un vœu.

Quand mes amies vinrent me chercher, inquiètes de ne plus me voir, elles furent ébahies de me trouver en pleine conversation avec un inconnu, qui plus est, visiblement pas du même monde qu'elles. Je les rassurai et leur présentai Luc, c'était son nom. Elles furent encore plus surprises quand je leur dis que je me débrouillerais pour rentrer et qu'elles ne m'attendent surtout pas.

Sous la voûte céleste, il a longtemps parlé et je buvais ses mots. C'était un baroudeur, anthropologue culturel, après de brillantes études et un doctorat en poche, il avait parcouru les quatre coins du globe, s'immergeant totalement aux seins des tribus qu'il étudiait. Le temps s'était aboli, j'étais au milieu de la forêt amazonienne avec lui, en Namibie, au pôle nord chez les Inuits. Quand le petit jour arriva, nous étions devenus les meilleurs amis du monde, j'avais envie d'en savoir plus, il avait ouvert une brèche en moi qui ne demandait qu'à être comblée, j'avais soif de son savoir. Dès lors, nous nous rencontrâmes régulièrement autour d'un café ou dans un jardin public. Une sorte d'accord tacite s'était installé entre nous, jamais je ne lui posais de questions sur sa vie privée. C'est ainsi qu'il m'avoua qu'à côtoyer de près les tribus, principalement les descendants des amérindiens, il avait fait siennes leurs croyances. Petit à petit, je sentais mon âme s'ouvrir à un autre horizon que mon quotidien étriqué. La graine était plantée et grandissait, les nuits, je repensais à nos conversations. Un après-midi alors que nous nous promenions au jardin des plantes, il me dit cette phrase qui est restée gravée en moi « Eponine, tu comprends, la société t'a enfermée et pris ton âme, tu es devenue ce que le système veut que tu soies, un parfait consommateur, les médias, les lobbyistes et les gouvernants t'ont formatée dès ta scolarité et même avant, à être un mouton, à avoir et non à être mais il ne tient qu'à toi de devenir qui tu es déjà ! Sois toi-même, délivre toi du carcan de la société, change toi et ose avancer sans masque. Souviens toi de cette phrase de Jean-Paul Sartre « on peut toujours faire quelque chose de ce qu'on a fait de nous » !.

 

A suivre



18/02/2017
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